Réformer, gérer : les deux termes sont souvent antagonistes, mais il arrive qu’ils se rencontrent. C’est ce qui se passe en ce moment dans l’administration, où depuis 2001 s’est engagée une profonde réforme des modes de financement et de gestion de l’action publique. C’est aussi ce qui se passe dans les grandes entreprises, où l’on voit se profiler à l’horizon 2005 les fameuses « nouvelles normes comptables », qui ont suscité cet été quelques débats.

Coïncidence sans lendemain, rencontre de hasard ? Il nous semble au contraire que ces évolutions en cours accusent les représentations qui voudraient opposer les deux « camps » du public et du privé – comme on se plaît à opposer la France d’en haut et celle d’en bas, celle des centres et celle des banlieues, comme on opposait jadis les villes et les campagnes. Privé, public : deux mondes qui s’ignorent, ne s’entendent guère, se méprisent un peu : telle est l’image qu’en donne la presse, telle est aussi, il faut l’avouer, la perception instinctive que nous en avons. Chacun reste dans son monde, à regarder ces autres dont il ne voit parfois que la caricature. On parle cet automne de dialogue social. Très bien : ce n’est pas nous qui nous en plaindrons. Mais au-delà des patrons et des salariés, ne serait-ce pas d’abord à ces deux mondes qu’il faudrait réapprendre à se parler ?

Il ne s’agit pas de les confondre. L’Etat reste l’Etat, il a ses missions spécifiques, ses contraintes propres. Il a surtout un rapport au temps, un sens de la durée, qui ne sauraient se confondre avec celui des entreprises. Mais les plus novatrices d’entre elles ne parlent-elle pas de développement durable ? Public et privé se voient aujourd’hui confrontés à des exigences semblables : transparence, efficacité.

Le terme de « bonne gouvernance », qui résume ces exigences et semble dessiner un nouveau modèle de gestion doit pourtant être regardé avec circonspection. Il pourrait bien n’être qu’une invocation, une de ces formules toutes faites derrière lesquelles tout le monde se réfugie pour surtout ne rien faire. L’enjeu est pourtant capital, et il est essentiel que l’ensemble des acteurs du monde du travail, à commencer par les salariés, s’en emparent.

Il s’agit d’abord de comprendre les mutations en cours ; et l’idée de gouvernance en est comme la colonne vertébrale. Ce numéro a d’abord été conçu dans une démarche pédagogique, visant à décrire, expliciter, à commenter les transformations qui affectent l’un et l’autre monde. Qu’est-ce que la Loi organique relative aux lois de finances ? Que dit la norme 39 de l’IASB ? Bien malin qui pourrait répondre au débotté, alors même que ces textes constituent l’un comme l’autre une révolution douce, dont nous éprouvons déjà les conséquences. Les auteurs de ce numéro, acteurs des réformes ou spécialistes reconnus pour leur sens critique, ont pris le temps de répondre à toutes nos questions.

Comprendre ces évolutions n’est cependant qu’une étape. L’essentiel reste de les infléchir, d’encourager ce qui doit l’être, de signaler les manques et les défauts, d’alerter sur les dérives ; d’agir, en somme. A cet égard, la position d’un syndicat comme le nôtre présente bien des avantages, car la réunion à part sensiblement égale de salariés du public et du privé permet d’enrichir la compréhension et d’affiner les actions. L’expérience des uns s’enrichit de celle des autres, les problèmes rencontrés ici peuvent aider à trouver là-bas des solutions. Nous le constatons, numéro après numéro, en observant les expériences menées dans la fonction publique territoriale et les pistes qu’elles suggèrent à la fonction publique d’Etat. Plus largement, et c’est là tout l’enjeu de cette livraison, la réforme des finances publiques offre un miroir à celle des normes comptables. Les mettre en regard permet de saisir le jeu de creux et de bosses qui signale les réussites et les insuffisances. Ces portraits en miroir attestent une différence, bien sûr ; mais elles nous aident à mieux situer cette différence, à redécouvrir sa nature, loin des discours convenus et des images toutes faites.

Cette différence bien comprise, le jeu des ressemblances peut commencer, qui permet de libérer les énergies, d’enrichir les méthodes, de réactiver les principes en les nourrissant d’expériences nouvelles. C’est dans ce jeu vivifiant qu’on peut faire progresser, non pas seulement la bonne gouvernance du secteur privé ou la bonne gestion du secteur public, mais, au singulier, le monde du travail.

Ce numéro a été réalisé en collaboration avec François Fayol, pour la partie public, et Jean-Paul Bouchet pour la partie privé.