Au dix-neuvième siècle, les ouvriers se battaient pour ne pas être considérés comme des bêtes de somme. Au siècle suivant, ils revendiquaient de pouvoir s’exprimer sur leur travail. Les salariés ont depuis obtenu un droit d’expression - directe et par la voie de représentants élus - sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. Cette expression a pour objet l’amélioration des conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production1. Mais, du dialogue professionnel au dialogue social, des instances aux échanges informels, les espaces et les attendus ne se ressemblent pas : on parle pour gérer la qualité et l’efficacité productive, pour apprendre collectivement du travail, pour traiter d’enjeux de santé ou sécurité, pour évaluer des missions personnelles ou collectives, etc.

L’intensification des conditions d’emploi - parcellisation des tâches, contrôle de l’activité, pression financière… - et le déplacement d’un management du travail vers l’individu impliquent d’instituer une parole et des échanges de qualité. Des usines aux bureaux d’études, des gares aux cabinets de conseils, l’écart entre la prescription et la réalité professionnelle est-il systématiquement discuté ? Les salariés, du pilote d’avion à l’ouvrier non qualifié, connaissent les ficelles de leur métier, ajustent les règles, savent mesurer ce qu’est un travail bien fait. Ils ont leur mot à dire sur l’organisation de l’activité. Ils ont besoin de participer et d’être reconnus en tant qu’acteurs du travail demandé. Et cette parole est d’autant plus importante que le travail est abstrait.

Mais la mise en débat ne s’impose pas naturellement. Il y a des postures patronales mais aussi syndicales qui s’y tiennent à distance, des cabinets qui vendent du bonheur individuel et de l’optimisme infantile en éludant de partir de la réalité quotidienne des équipes. Tant d’entreprises ressemblent à celle de la talentueuse série Caméra café2 : on rit des préoccupations interpersonnelles et des conditions de travail au quotidien. On y clame « J’aime ma boîte » une fois par an. L’important n’est-il pas plutôt de discuter de l’organisation de l’activité, du sens collectif du travail, du niveau de qualité à atteindre, des appuis professionnels pour y arriver ?

Les démarches dites de « qualité de vie au travail » (QVT) proposent d’aller dans ce sens. Allant vers la prévention primaire et ne se satisfaisant pas de la réparation de la souffrance personnelle, elles redéfinissent la politique de santé et de sécurité. Ce faisant, elles structurent la capacité à s’exprimer : espaces de dialogue, reconnaissance des managers de proximité dans leur rôle d’écoute et de soutien... L’objectif est de « penser le contenu du travail » (Anact), de discuter de la valeur qui lui est donnée, de développer les compétences mobilisées. Les entreprises n’ont pas attendu la QVT pour cela, mais il y a désormais un cadre. La QVT, visant à améliorer les conditions d’exercice du travail « résultant notamment des modalités de mise en œuvre de son organisation », place, de fait, « la question du travail parmi les objectifs stratégiques de l’entreprise »3.

L’organisation de l’activité est une prérogative patronale. Elle ne résulte pas, en principe, d’une négociation et relève de la subordination. Mais une mise en discussion de qualité sur le travail réel, renouvelant les pratiques professionnelles et syndicales, permet d’aborder son organisation.

1 : Cf. art. L2281-1 et L2281-2 du code du Travail.

2 : Série diffusée de septembre 2001 à décembre 2003 sur M6.

3 : Cf. l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 « vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle ».