Depuis quelques semaines les féministes de tout bord se déchirent dans un débat presque passionnel. Au lieu de ces arguments souvent caricaturaux, laissons tout simplement le choix à la mère du mode de relation qu’elle souhaite créer avec son enfant au cours de ses premiers mois et parlons plutôt de la question du père, de son rôle auprès des tout petits ou plus exactement de son absence et observons les conséquences d’une autre relation notamment dans le monde du travail.

Des femmes cadres discriminées

Les représentations sociales sont encore très fortes. Même si la question de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée est beaucoup plus prégnante dans les discours des générations plus jeunes, remettre en cause les rôles traditionnels notamment auprès des enfants n’est pas une revendication des hommes. Les jeunes pères craignent à juste titre en l’état actuel, qu’un congé long nuise à leur carrière. L’expérience de leurs collègues femmes en est quotidiennement un exemple. La moindre absence est vite considérée comme un désengagement vis-à-vis du travail et les nombreuses discriminations pointées entre autres par la Halde, montrent que la maternité reste un handicap surtout pour la carrière des jeunes femmes cadres.

Les réponses aux questions d’inégalités professionnelles ont souvent conduit à des aménagements divers autour du congé maternité et des aides à la petite enfance. Ces aides à la parentalité ont certes amélioré le quotidien des jeunes parents mais force est de constater que ces réponses n’ont pas réglé la question des discriminations. Pour les jeunes femmes cadres en particulier, le problème est ailleurs.

Depuis plus de 50 ans, la France a voté de très nombreuses lois pour favoriser, voire imposer l’égalité professionnelle. Malgré cet effort législatif, les chiffres sont têtus et les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes perdurent et sont encore plus marquées en termes de carrière et de rémunération pour les cadres, ce que depuis les années 80, on a désigné par « plafond de verre ». En matière de rémunération, ce sont pour les femmes cadres qu’on mesure le plus grand écart de rémunération à qualification et poste équivalents notamment à partir de 35/40 ans où les écarts dépassent alors 30%. Il est donc nécessaire de changer de paradigme.

L’évolution passe par un changement de représentation du travail des cadres. Disponibilité et mobilité restent les premières qualités recherchées par les recruteurs ou par les managers et DRH qui interviennent dans les promotions professionnelles et cette exigence exclut a priori les femmes.

Tant que la jeune femme portera seule le risque potentiel d’une absence un peu longue pour cause de parentalité, elle ne pourra représenter consciemment ou pas, le profil du cadre efficace et investi pour son entreprise ou son administration.

Si demain le jeune père potentiel dispose d’un droit à congé de paternité long (au moins deux mois), le risque est alors partagé. Recruter un jeune, homme ou femme, impliquera alors d’imaginer l’organisation du travail et les évolutions de carrière en conséquence, et les représentations des directions des ressources humaines et des jeunes cadres hommes changeront progressivement.

Notre revendication d’un congé de paternité de deux mois a aussi pour objectif de faire sauter un verrou psychologique auprès des décideurs en entreprise ou dans les administrations, souvent des hommes, verrou lié à une certaine représentation de la performance passant par le surinvestissement au travail, lui-même corrélé à une forte présence et une disponibilité quasi-permanente. Si cette évolution semble particulièrement importante pour briser le « plafond de verre », elle irriguera progressivement toutes les catégories sociales améliorant ainsi l’égalité professionnelle pour tous.

Un congé bien rémunéré

Si le monde du travail l’admet pour les jeunes femmes, la prise en charge des questions de vie privée pour un homme est vécue comme un véritable désengagement dans la sphère professionnelle par la majorité des employeurs comme par les collègues et collaborateurs.

Dans ce contexte, si la loi imposait un congé paternité plus long, elle dédouanerait ces jeunes pères de la nécessité de justifier un éventuel choix personnel aujourd’hui très marginal et contribuerait progressivement à changer les habitudes et les représentations.Mais la compensation financière doit être attractive. Dans un grand nombre de couples encore aujourd’hui, le salaire de l’homme est le plus important. Pour que les couples envisagent le congé paternité comme une opportunité à saisir, il est impératif que le manque à gagner financier soit acceptable, au minimum 80% de la rémunération.

Les accords « égalité professionnelle » des entreprises devraient aussi prendre en compte les interruptions pour cause de parentalité et les conditions de leur bonne gestion aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Face aux risques pour leur carrière, seules des garanties de l’employeur permettront aux cadres futurs pères d’envisager de prendre un congé de paternité plus long. Le discours et le comportement managérial des dirigeants seront dans ce domaine décisif.

Répartir les coûts sociaux

Certaines grandes entreprises financent déjà aujourd’hui des crèches en interne ou organisées en inter entreprises. Cet investissement de l’ordre de 20 000 euros par an et par enfant (coût réel pour la société) pourrait être réparti différemment. Une partie pourrait être investie dans le complément de salaire du congé paternité. Nombre d’entre elles ont compris l’avantage de fidéliser ainsi leurs collaborateurs et de valoriser leur image et prolongent déjà aujourd’hui le congé maternité. Ce même investissement de l’entreprise pourrait donc être réparti différemment.

Même si la France a fait des efforts indéniables par rapport à d’autres pays européens moins bien équipés, la charge de construction de places d’accueil pour la petite enfance, notamment pour les collectivités locales reste très lourde. Proposer une prise en charge familiale plus longue, réduira d’autant l’obligation sociale de fournir des places de crèche supplémentaires qui ont un coût collectif important.

Le coût supplémentaire apparent pour les employeurs et pour la collectivité peut en fait être une autre répartition de coûts déjà socialement pris en charge.

L’accord européen sur le congé parental renégocié le 17 septembre 2008, s’il a rappelé l’encouragement pour les pères à utiliser le congé parental, restera lettre morte et plus encore pour les cadres si par la loi, les Etats ne s’engagent pas aussi sur un congé paternité conséquent et non transférable. Certains Etats européens l’ont déjà fait, la France peut s’engager dans cette voie.

En tout état de cause, il est aujourd’hui nécessaire de trouver de nouvelles voies pour améliorer l’égalité professionnelle. C’est maintenant l’affaire des hommes et d’abord celle des pères. Les jeunes générations expriment le souhait d’un meilleur équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle. Elles souhaitent conjointement prendre en charge la vie familiale. Accompagnons ces nouvelles demandes sociales.

C’est pourquoi La CFDT Cadres revendique la création d’un nouveau droit pour les pères, un congé paternité d’au moins deux mois avec compensation salariale attractive (minimum 80% de la rémunération antérieure).