Pour un expert ou un manager, le travail est défini par des missions d’expertise et/ou de management. Il ou elle négocie les moyens et le temps pour y arriver. Sinon, on est dans un travail d’exécution. La dimension temps de travail n’est pas en elle-même déterminante de l’activité d’encadrement. Les journées à rallonge pour les managers ont toujours existé (même si on observe une amplification du travail avec les nouvelles technologies) : une journée à la disposition des autres et une fin de journée pour soi à laquelle s’ajoute une très forte culture française du « surprésentéisme » : « je commence à travailler le soir », « je ramène du travail chez moi », etc.

Un salarié, a fortiori un manager, ne travaille pas de façon continue du fait de la diversité des outils (notamment numériques). Chacun a sa propre logique, sa propre temporalité (il faut reprendre l’ensemble des éléments pour reprendre l’activité et cela nécessite du temps et de l’investissement intellectuel). De plus, le travail aujourd’hui nécessite d’avoir des informations des autres et les échanges sont une caractéristique du métier de manager. Être dans le « flow » est gratifiant et efficace lorsqu’on tient le rythme, mais on ne peut être efficace 24H/24. Tout ne repose pas entièrement sur vous et vous ne pouvez pas tout organiser. Il faut donc différencier ce qui dépend de vous et ce qui dépend de votre métier, avoir un regard différent sur votre temps et sur les contraintes de gestion.

Gérer la charge de travail et les équilibres de vie

Dans les métiers intellectuels où les facteurs organisationnels et psychologiques sont essentiels, il faut faire émerger le ressenti. Les critères cognitifs étant prégnants et incertains, il faut être attentif au sentiment d’avoir (ou de ne pas avoir) les moyens de faire et que la charge de travail soit acceptable. Les cadres, particulièrement les managers, expriment souvent un ressenti de surcharge de travail, et ce d’autant plus qu’ils déclarent travailler de manière très régulière à leur domicile.

Poser une réalité, ce n’est pas se plaindre inutilement. Les contraintes internes et externes, intégrées par les salariés, font souvent qu’on n’ose pas dire ! Même en cas d’impossibilité organisationnelle, on se rend responsable !

Vous avez le droit et le devoir de dire « stop », d’écouter, de vous écouter et de vous faire écouter.

Le « débordement » est une caractéristique fréquente du travail du cadre. Les causes du débordement sont multiples : temps de trajet, durée hebdomadaire de travail, charge et intensité du travail, utilisation des TNIC… Les responsabilités de management et le travail en mode projet sont générateurs de stress mais sont aussi excitants. Des contraintes bien vécues à condition d’identifier les injonctions paradoxales32. Si une partie de la charge de travail peut s’objectiver, la charge mentale n’est pas mesurable et des facteurs exogènes tels que le plaisir de son propre travail, la reconnaissance sociale, la reconnaissance par ses pairs, la solidarité dans l’équipe ou le niveau de coopération peuvent modifier la perception de la charge réelle de travail. Le ressenti varie selon les individus et leur situation personnelle. Les réactions positives ou négatives des proches dans la vie privée modifient également le ressenti de la charge de travail de chacun. Néanmoins la charge mentale est souvent liée aux exigences de délai, à la gestion des relations avec vos collaborateurs et tous les tiers et ne doit pas être sous-évaluée.

Le présentéisme (surprésentéisme) et ses conséquences

Le surprésentéisme s’exprime sous différentes formes. Cela peut être un salarié malade qui vient régulièrement travailler au lieu de se reposer ou encore un salarié qui prend l’habitude de venir très tôt et/ou de finir systématiquement tardivement. Ce syndrome peut se maintenir, voire augmenter dans le temps, avec des motivations très diverses : le sentiment d’être indispensable, le respect d’échéance, la surcharge de travail, la peur des représailles, le refus de voir son revenu diminué, le transport dans les grandes agglomérations… Les mobiles différents appellent des solutions différentes33. Contrairement à ce que l’on peut penser, le surprésentéisme entraîne une productivité dégradée, coûte donc à l’entreprise ou administration et reste un risque pour la santé du salarié trop présent34.

Enfin, le présentéisme ou demande de surprésentéisme est facteur de discrimination indirecte. Cette culture pénalise fortement les femmes qui restent encore très largement impliquées dans les tâches familiales et l’éducation des enfants, car souvent leur accès à la promotion est freiné puisque moins de présence au bureau est assimilée à moins de disponibilité et d’engagement professionnel, alors que les femmes cadres, notamment managers, travaillent régulièrement chez elles une fois les tâches familiales accomplies35 ! La culture des organisations est ancrée sur une norme implicite de performance masculine. Des études illustrent les freins à la prise de responsabilités : pour les femmes cadres, le présentéisme en est l’un des trois facteurs avec la maternité et les préjugés des hommes. Côté entreprise, les RH interrogés estiment que la question de la disponibilité des femmes est le principal frein à leur carrière…

Le présentéisme en France est fortement rattaché à la représentation du travail. Le temps partiel, par exemple, est souvent perçu comme un désinvestissement de l’entreprise alors qu’il est surtout un besoin d’équilibrer vie professionnelle et vie personnelle. Mais être à son poste à vingt heures est perçu comme un signe d’abnégation et de forte implication. Or, même en termes de productivité, de nombreux cadres sont conscients de la limite du présentéisme - surprésentéisme et aimeraient que cela change. La CFDT en fait une revendication forte. Un changement nécessite d’abord l’exemplarité des dirigeants. Les chefs doivent partir plus tôt pour que les salariés se sentent plus légitimes à le faire ! Il faut également des évaluations annuelles plus objectives, basées sur l’atteinte des objectifs et non pas sur l’image renvoyée par le salarié vis-à-vis de son temps passé au travail. L’enjeu est de faire évoluer les cultures d’entreprise en promouvant des modes de travail plus efficaces parce que plus respectueux des besoins des femmes et des hommes. Bénéficiaires directs de cette évolution, ces derniers en deviendront plus volontiers les moteurs.

32 : Les injonctions paradoxales ou doubles contraintes sont des ordres (ou objectifs) explicites ou implicites dont on ne peut en

33 : Cf. François Fatoux, Laboratoire de l’égalité, Libération, 27 mai 2014.

34 : Cf. Ron Goetzel, Université de Cornell, « Au bureau, le présentéisme fait des ravages », Le Monde, 1er octobre 2012.

35 : Cf. L’enquête de la CFDT Cadres, Travail et Temps : comment maintenir les équilibres ?, 2012.