Le livre aurait pu s’intituler : le capitalisme pour les nuls. La couverture donne le ton : un portrait de Mao Tsé-Toung portant un bandeau et une paire de baskets marqués ostensiblement du logo de la marque Nike. Le fil directeur du livre - qui emprunte au titre de la collection - est de revenir sur les principales idées reçues concernant le capitalisme, son origine, sa dynamique, ses bienfaits et ses méfaits. Suivent 150 pages qui se lisent très vite, car elles fourmillent d’anecdotes, souvent drôles, toujours percutantes.

Saussois commence par mobiliser Fernand Braudel pour rappeler que le capitalisme est quelque chose d’autre que le marché, qu’il est davantage qu’une somme de transactions économiques et qu’il a toujours eu besoin du grand large pour se développer, bref que la mondialisation ne date pas d’aujourd’hui. Puis il revisite avec talent nombre de présupposés. Le capitalisme est-il vraiment devenu un modèle universel, depuis la chute du mur de Berlin ? Certes, mais les sous-modèles sont légion, la Chine en fournissant un totalement inédit : « une économie tenue non dans la main invisible du marché, ni dans la main visible des dirigeants des grands groupes industriels, mais dans la main invisible des responsables d’un parti communiste bien visible lorsqu’il doit répondre à des menaces économiques et politiques ».

Autre idée communément admise: l’actionnaire est propriétaire de l’entreprise. Non, répond Saussois, ceci est une fiction juridique (les actionnaires sont propriétaires de leurs actions, ce qui n’est pas du tout la même chose), dont l’apparition dans les années 1970 coïncide avec l’avènement du capitalisme financier. Ou encore : l’Etat est le problème, non la solution aux maux engendrés par le capitalisme. Saussois relève une dynamique séculaire d’« accouplement » entre Etat et entreprise, qui est à l’œuvre dans tous les pays. Contrairement à l’idée reçue, le capitalisme a plus que jamais besoin de l’Etat. Mais l’auteur s’inquiète de la perte de souveraineté de ces derniers : « Le fait que Danone soit un groupe industriel dont le siège est à Paris est un point important pour le gouvernement français, un point anecdotique pour le gouvernement privé de Danone qui est libre de s’installer où il veut », condamnant ainsi l’Etat à jouer le rôle de brancardier au lieu d’être un stratège qui affirmerait une politique industrielle volontariste.

Saussois rappelle encore que l’économiste allemand Adolf Wagner expliquait déjà au début du XXe siècle pourquoi les dépenses publiques sont condamnées à croître, y compris en proportion de la richesse produite. Contrairement à ce qu’avait prédit Marx, la paupérisation généralisée a été évitée par la capacité des Etats à déminer des explosions sociales, quitte à en payer le prix par des prélèvements et / ou des déficits publics toujours croissants.

Faut-il financer la dette publique par l’emprunt dont le remboursement est toujours remis à plus tard ou par une augmentation des impôts ? On doit au prix Nobel norvégien Trygve Haavelmö d’avoir démontré que la dépense publique en tant que telle est source de croissance et qu’une augmentation des dépenses de l’Etat, financées par l’impôt et non par l’emprunt, conduit à une augmentation de la richesse nationale. « En faisant appel aux contribuables et non aux banques pour financer les déficits budgétaires, les politiques peuvent ainsi reprendre la main qu’ils avaient perdue, mais risquent de perdre les élections. Cruel dilemme. »

Avec des mots très simples et des exemples empruntés à la vie courante ou… au théâtre, Saussois discute encore l’idée reçue selon laquelle « le capitalisme, c’est le progrès ! », montrant que le doute s’est instillé quant à la notion de progrès. Le capitalisme se nourrit du progrès et aussi des dégâts qu’il provoque pour pouvoir mieux les réparer ensuite grâce à de nouvelles techniques qui vont dans le sens du progrès et… qui génèrent de nouveaux dégâts. Et Saussois de constater que l’idée de progrès passe de plus en plus mal et de préférer celle de « modernité ». « Tout est possible, mais tout est incertain, voilà un résumé brutal d’une culture de la modernité ».

Dernier exemple d’idée reçue (mais le livre en comporte bien d’autres) : les inégalités sont inévitables, un peu comme un carburant qui alimente le moteur de la machine capitaliste. Le capitalisme va-t-il dans le mur à force de creuser les inégalités de revenus et de patrimoine ? Pas sûr, répond Saussois : « L’espoir de mobilité sociale qui donne de l’énergie au travail en pensant à l’avenir de ses enfants où à la transmission du patrimoine est l’une de ces charpentes invisibles qui font tenir le capitalisme », écrit-il.

La vitalité du capitalisme en Chine fascine et en même temps inquiète. L’auteur rappelle que Lénine expliquait que l’on ne peut dissocier impérialisme et capitalisme, surtout quand celui-ci se développe avec des forts relents de nationalisme. Et de rappeler que le lien entre capitalisme et démocratie politique n’a rien d’évident. Alors l’impérialisme chinois est-il en passe de damer le pion à l’impérialisme américain ? Décidément, le capitalisme est un dieu sans bible…

On regrettera seulement que le livre ne soit pas plus disert sur les dérives contemporaines du capitalisme financier, l’émergence des « winner takes all markets » (où le gagnant - PDG d’une grande entreprise, star du show-biz, du sport ou des activités d’arbitrage – rafle toute la mise) et surtout sur la crise. Saussois laisse penser que la crise actuelle est une manifestation supplémentaire de l’accouplement entre l’Etat et le capitalisme, l’Etat se chargeant de le moraliser, de le contenir, de le réguler. Il rappelle qu’en chinois, le mot crise désigne à la fois un danger et l’occasion fournie par ce même danger. Ecrit avant les soubresauts de l’été 2011 et la crise de l’euro, le livre peut laisser sur ce point une impression de malaise pour cause d’irénisme, voire de naïveté. Mais il est vrai que les évènements actuels ont pris tout le monde de court et qu’il est trop tôt pour en tirer les leçons.

A signaler une bibliographie commentée, en forme de conseils de lecture, courte mais stimulante.