À l’époque du SMS, de Twitter et des newsletters, le livre et les métiers de l’édition qui permettent sa production semblent d’un autre âge. Martine Prosper, secrétaire générale du Syndicat national Livre-Édition CFDT, s’inscrit en faux contre cette idée et dans son ouvrage décrit un secteur économique et des métiers toujours attractifs mais dont les pratiques sociales ne sont pas à la hauteur de l’image entretenue autour du prestige de l’édition.

Contrairement aux idées reçues, dans la consommation familiale moyenne, le livre a toujours la première place dans le budget « culture ». C’est donc un secteur économique dynamique mais où les décideurs jouent sur le mythe de « l’amour du livre » pour entretenir une nébuleuse autour de leurs résultats économiques et maintenir ainsi les salariés de la filière dans des situations précaires (stagiaires, CDD et autres) qui durent souvent bien au-delà de la légalité. Martine Prosper pointe le paradoxe de cette profession qui est fière de son prestige mais contribue à dévaloriser son cœur de métier en exploitant ses salariés avec des rémunérations de plus en plus basses et des emplois de moins en moins qualifiés. Car le social est bien la face sombre de ce secteur et seule l’action collective à travers le syndicalisme a permis et permettra de rétablir les équilibres de cette entreprise « culturelle » et de remettre de l’humain au cœur du métier. C’est un des intérêts de cet ouvrage écrit par une professionnelle (Martine Prosper est éditrice, responsable de la prescription chez Flammarion) qui est aussi une actrice du secteur (responsable de la CFDT Livre-Édition, elle est aussi secrétaire du Comité d’entreprise et du Comité de groupe Flammarion, déléguée syndicale).

Pour mieux appréhender le monde de l’édition aujourd’hui, cet ouvrage décortique les évolutions des métiers et des rôles ; le pouvoir est ainsi passé du directeur littéraire au directeur commercial et aujourd’hui au contrôleur de gestion dont la bible est la comptabilité analytique ! Quid alors d’un ouvrage de poésie autrefois financé par un bestseller ? Qui décidera demain de la ligne éditoriale ?

Dans ce secteur comme dans les autres, l’emballement du modèle économique, la durée de vie de plus en plus courte du produit « livre » risque d’étouffer l’objet même qui fait vivre l’édition. Les essais de publication numérique même peu probants à ce jour, sont aussi susceptibles de remettre en cause ce secteur encore dynamique. Dans l’édition, comme dans nombre de secteurs de production, cette analyse montre l’importance d’un rééquilibrage des pouvoirs entre les acteurs sous peine de voir s’éteindre un secteur économique par perte de qualité de l’objet même ayant fait son prestige initial !

Martine Prosper aborde également dans son propos la question de la distribution, essentielle à la survie de l’édition et note le rôle encore primordial joué par les libraires qui même si eux aussi vivent en situation précaire, sont pourtant des médiateurs incontournables entre les éditeurs, la distribution et le lecteur.

Un livre pédagogique, passionnant et qui au-delà des questions économiques et sociales, nous interroge sur la liberté de création et de circulation des idées face à la rentabilité et sur l’avenir du droit d’auteur.