Est-il bien sérieux de demander une extension du congé de paternité, alors que 40 % des salaires n'ont pas augmenté depuis cinq ans1, et que le parlement européen vient de repousser l'idée d'un allongement du congé de maternité à 20 semaines ? Dans le contexte de crise économique et financière que subit le continent européen, il est vrai qu'une telle revendication sociale peut sembler étonnante, peut-être même utopique, voire irresponsable.

Reprenons les choses à leur commencement. La CFDT Cadres est en train de construire une revendication : étendre le congé de paternité, qui dure 11 jours aujourd'hui, à deux mois. Dans un premier temps, cette réforme s'adresserait aux cadres avant de concerner bien sûr l'ensemble des salariés. Cette revendication s'articule autour de deux motivations principales : relancer l'égalité professionnelle, dont les progrès sont en panne depuis une dizaine d'années, et répondre aux évolutions de la société, et plus précisément aux aspirations des jeunes générations qui demandent de plus en plus clairement un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Les auteurs de ce numéro de la revue nous-ont donné leur avis sur ce projet qui aboutirait à un partage plus équitable des responsabilités professionnelles et familiales entre les hommes et les femmes. Nous avons bien entendu les bémols qu'ils émettaient. Dans une économie mondialisée, donner de nouveaux avantages aux salariés français peut coûter très cher, trop cher. Plusieurs cadres, à différents niveaux de responsabilités, nous l'ont dit clairement. C'est pour cette raison que cette revendication pourrait être affinée, par exemple en envisageant d'organiser des dispositifs de télétravail pendant la dernière semaine de ce congé, comme le propose Jérôme Ballarin pour l'Observatoire de la Parentalité en Entreprise. Il y a aussi bien sûr plus généralement la question du coût d'une telle réforme. Nous donnons des pistes de financement dans un article.

Alors, finalement, sommes-nous à contre-courant ?

En terminant ce numéro, il nous semble que ce n'est pas le cas. Parce que de nombreux pays européens, et pas seulement des pays nordiques, ont engagé, parfois depuis longtemps, des réformes du congé de paternité très similaires à celle que nous proposons.

Parce que la répartition des temps privés et professionnels va se poser avec plus d'acuité encore dans les années à venir. Nous allons travailler plus longtemps, c'est entendu. C'est peut-être même tout à fait acceptable si nous tenons compte des contraintes de la vie privée, différentes à chaque âge de l'existence d'un adulte. Les entreprises ont besoin de toutes les énergies pour être compétitives et la société a besoin d'enfants. La réforme que nous proposons peut permettre de mieux concilier ces impératifs qui pourraient paraître contradictoires.

En réalité, cette revue n'est pas un aboutissement mais plutôt un commencement. Nous espérons qu'elle suscitera le débat, auprès de vous, chers lecteurs, cadres adhérents de la CFDT, mais aussi à l'intérieur des entreprises et des administrations, et plus largement dans le débat public. C'est une première pierre à l'édifice de la construction d'une réforme de société.

1 : Sondage BVA pour l'Expansion, décembre 2010