Dans le précédent numéro de notre revue, déjà consacré à la question numérique (Cadres-CFDT, numéro 448, mars 2012), nous avons vu comment l’usage des technologies numériques de l’information et de la communication contribue à modifier en profondeur le travail des cadres. Nous sommes arrivés, entre autres, aux résultats suivants. D’une part, les relations d’autorité dans l’entreprise ont changé : la communication entre pairs, avec les subordonnés ou les supérieurs hiérarchiques ne se fait plus de la même façon. D’autre part, l’usage des réseaux sociaux brouille les frontières entre vie professionnelle et vie privée, ce qui pose la question de la protection du salarié mais aussi de l’image de l’entreprise. Enfin, ces technologies offrent aux cadres la possibilité de mieux gérer leur travail, même à distance ; mais ces avantages cachent des contreparties : il faut répondre plus vite aux sollicitations diverses et savoir trier dans l’avalanche informationnelle quotidienne.

Comment les équipes syndicales peuvent-elles au mieux défendre l’intérêt des salariés dans ce nouveau contexte technologique ? Pour répondre à cette question, nous donnons la parole dans ce numéro à des adhérents et des militants CFDT, cadres en entreprise et responsables syndicaux.

S’agissant de la question des relations avec les pairs et la hiérarchie, deux articles sont consacrés à l’expérience menée chez Alcatel-Lucent France. Dans cette multinationale présente dans plus de cent pays, les collaborateurs utilisent quotidiennement le réseau social interne, baptisé Engage, pour travailler. Pour l’instant, les syndicats n’ont pas le droit de s’exprimer sur ce réseau. Pour pallier ce manque, décrié par les syndicats mais aussi par la direction qui craint le face à face frontal avec des groupes de salariés constitués ex nihilo, l’entreprise a lancé une négociation d’un nouveau genre, une négociation sociale 2.0, une première en France. C’est ici toute la question de la représentation des salariés dans une relation virtuelle qui est posée, et plus largement de l’invention de nouvelles relations sociales. En reconnaissant aux syndicats un rôle de possible régulateur des collectifs de toutes sortes, on revient aux fondamentaux du syndicalisme.

La question de l’usage des réseaux sociaux type Facebook ne peut être éludée. En écornant l’image de l’entreprise dans des messages malencontreux, les salariés peuvent se mettre en danger. Axa France a décidé de prévenir ce risque numérique en élaborant un document des bonnes pratiques numériques à l’usage de ses collaborateurs. Plutôt que de produire une charte annexée au règlement intérieur selon un procédé classique top down, cette entreprise a choisi d’élaborer un texte construit avec l’aide de 500 salariés (qui ont tous signé le document de leur prénom). Cette façon de procéder peut donner des idées aux équipes syndicales : il existe une alternative aux chartes numériques écrites sans concertation et les équipes syndicales peuvent utilement contribuer à leur élaboration.

Reste le chapitre de la gestion du temps et du contenu du travail. Chez Accenture, de nouveaux outils informatiques (Office Communicator et Téléprésence) ont modifié les conditions de travail et permis le développement du télétravail. Tout en considérant ces changements comme de nouvelles opportunités pour des salariés qui ont souvent des temps de trajet quotidiens très longs, la section CFDT plaide pour un meilleur usage de l’encadrement de ces technologies et pour une éducation de chacun à respecter le temps de la vie privée.

A travers ces expériences, c’est finalement une manière nouvelle de faire du syndicalisme qui apparaît. Elle se déploie à côté de formes plus traditionnelles d’action syndicale. Et ce n’est pas toujours simple, on le lit en creux dans certains articles, surtout lorsqu’il s’agit d’animer un collectif virtuel.

La CFDT Cadres se préoccupe depuis longtemps de la question numérique comme nous le rappelle Laurent Mahieu dans un article introductif. Elle soutient des projets ambitieux, comme celui d’Info prud’hommes CFDT, un site consulté par près d’un million et demi de personnes chaque année. De tels projets font entrer notre organisation de plain-pied dans l’ère d’un syndicalisme de services. En lançant une recherche-action pour mieux accompagner les nouvelles pratiques syndicales et ajuster les revendications collectives, la confédération n’est également pas en reste.

Autant d’initiatives à découvrir dans ce numéro.