Comme son tire l’indique, ce livre est autant une biographie d’Edmond Maire qu’une histoire de la CFDT. Il retrace le parcours de celui qui dirigea la CFDT de 1971 à 1988 et marqua fortement l’organisation. Il raconte aussi la genèse de l’organisation syndicale au début des années 60, le choix de l’autogestion et du rapprochement du politique dans les années 70, et enfin la resyndicalisation dans les années 80 avec le choix d’un éloignement progressif de la gauche au pouvoir.

Privilège de l’histoire contemporaine, le livre est construit à partir des témoignages des acteurs de cette histoire, à commencer par Edmond Maire lui-même. Il repose également sur une somme impressionnante de ressources documentaires qui permettent de fabriquer une histoire fine de la CFDT, de ses congrès et des débats d’amendement, souvent houleux dans les années 70 et 80. Ce livre est aussi plus largement un livre d’histoire de la gauche des années 60 à 80 et plus précisément de ce qui fut appelé la deuxième gauche.

La première partie du livre s’intéresse à la jeunesse et à la formation d’Edmond Maire. Issu de la « génération 58 », Edmond Maire, comme de nombreux ressortissants de cette génération, s’est construit par opposition aux guerres coloniales. On signale à cet égard la très belle introduction sur cette génération, éclipsée ensuite un peu injustement par la « génération 68 », et qui joua pourtant un rôle majeur dans la France syndicale et politique des années 70.

Né en 1931 à Epinay-sur-Seine dans un milieu cheminot et catholique, Edmond Maire est le sixième de sept enfants. Après sa scolarité, il devient chimiste chez Valentine puis Pechiney où il adhère pour la première fois à la CFTC en 1954. Il participe activement à cette époque à Reconstruction, un groupe de réflexion dotée d’une revue, Les Cahiers, créé au lendemain de la seconde guerre mondiale et animé par Paul Vignaux, universitaire médiéviste et l’un des fondateurs du SGEN en 1937, syndicat à part dès son origine dans la CFTC puisqu’il obtient dans ses statuts d’exclure toute référence confessionnelle.

Reconstruction apporte beaucoup à Edmond Maire : dix ans dans sa formation et la constitution de ses réseaux dit-il lui-même. Dans ce cadre, il prend activement part aux débats intellectuels qui s’y construisent, par exemple sur le canal de Suez en 1956 et les décolonisations. Il rencontre aussi dans ce cercle des personnes qui seront essentielles dans son parcours syndical, comme Marcel Gonin qui devient en 1954 secrétaire général de la Fédération des personnels civils de l’air et de la guerre, ou d’autres comme Jacques Julliard que Paul Vignaux verrait bien pour successeur à la tête du SGEN et avec lequel il participa à l’aventure politique de ce qui fut appelé par la suite la deuxième gauche. (Plus loin, le livre revient sur cette dénomination « deuxième gauche », sous titre d’un livre de Hervé Hamon et Patrick Rotman sur l’histoire de la CFDT en 1982. Une appellation, selon Edmond Maire, qui enferma la CFDT dans une posture politique dont elle s’accommodait mal).

Le chapitre suivant revient sur le rôle essentiel de Marcel Gonin dans l’ascension d’Edmond Maire à la période où ce dernier devient secrétaire général de la fédération des industries chimiques (FIC) de la CFTC. De dix années plus âgé, il joue en quelque sorte auprès de lui le rôle d’un mentor intellectuel et syndical et noue avec lui une solide amitié.

Edmond Maire succède à Eugène Descamps à la tête de la CFDT en 1971. Peu après, le congrès de la CFDT fait de l’autogestion sa doctrine officielle.

Le livre revient bien sûr avec précision sur cette période idéologique qui a marqué notre organisation. Il consacre notamment plusieurs pages au vaste champ sémantique occupé par ce mot. Repris par Edmond Maire en 1964, l’autogestion désigne une troisième voie possible entre libéralisme et communisme à l’époque de Tito et du non-alignement. Le mot s’adapte au moment de mai 1968 dans une perspective de démocratisation de l’entreprise et trouve une pleine reconnaissance avec les accords de Grenelle et la création des sections syndicales d’entreprise. Il peut aussi s’entendre comme un synonyme de cogestion dans la bouche d’Eugène Descamps. Mais aussi, dans le cas de l’industrie textile du nord, en déclin dès la fin des années 60, comme une nécessité sociale absolue. Le mot colle également bien avec le projet de nouvelle société tel qu’il est décrit dans le discours d’investiture de Jacques Chaban-Delmas lorsqu’il devient premier ministre le 26 juin 1969. Et dans le rapport d’Edmond Maire pour préparer le congrès de la CFDT en 1970, l’autogestion apparaît comme un moyen de contester la société de consommation.

Bref, au début des années 70, sous toutes ces acceptations, l’autogestion est bien dans l’air du temps et Edmond Maire en profite pour augmenter sa notoriété auprès du grand public. Il y a enfin l’autogestion de la grève des Lip, mouvement jugé sans réelle structure intellectuelle. Pour Edmond Maire, c’est le moment de prendre ses distances avec un mot, qui sous certaines acceptations, pourrait entraîner la CFDT dans des voies qui pourraient la desservir.

Le livre est aussi riche sur l’histoire des Assises du Socialisme de 1974, de l’élaboration de cet événement qui vit l’intégration du PSU au PS et le rapprochement de la CFDT. Il revient également sur les rôles joués par Jacques Moreau, Jacques Chérèque, Pierre Mauroy, Michel Bérégovoy ou Michel Rocard pour ne citer qu’eux. Plusieurs pages sont consacrées au congrès qui décida en 1979 du recentrage ou resyndicalisation de la CFDT, en d’autres termes de l’éloignement de la sphère politique et du recentrage sur des missions syndicales afin de mieux faire face aux mutations de la société : mondialisation, modification de l’appareil productif, restructurations et forte progression du chômage.

La dernière partie du livre revient sur la succession assez difficile d’Edmond Maire et sur le rôle d’Yves Lichtenberger, pressenti par ce dernier comme un successeur potentiel. En 1988, La CFDT a un nouveau secrétaire général en la personne de Jean Kaspar qui donnera un tournant moins personnalisé à la fonction, ce qui avait été reproché à Edmond Maire dans le cours de ses mandats. Le livre termine sur le passage d’Edmond Maire à la tête des VVF et de la société d’investissement solidaire France Active (association d’insertion et d’aide à la création d’entreprise).

Cette biographie d’Edmond Maire est un livre d’une grande richesse. Le livre fourmille d’informations sur différents épisodes de la vie de la CFDT et d’Edmond Maire. C’est ce qui fait sa force, même si on peut regretter l’absence d’un glossaire et d’une chronologie en annexes qui auraient sans aucun doute aidé à la lecture.

Ce livre est indispensable pour saisir une histoire fine de la CFDT à l’époque Edmond Maire. Et pour les adhérents et les militants de la CFDT qui ont connu les années 70 et 80 de notre organisation, il devrait se lire comme un témoignage passionnant, une chronique précise des rencontres informelles entre les acteurs syndicaux, intellectuels et politiques de ces années et de ce secrétaire général qui ont tant marqué la CFDT.