Tous les pays démocratiques font face aux mêmes questions : comment définir l’efficacité des politiques publiques ? Comment déterminer celles qui sont efficaces ? Comment modifier ou supprimer celles qui ne le sont pas ? La crise économique mondiale, l’état des dettes publiques vont imposer des coupes claires dans les dépenses publiques. La France n’y échappera pas. Les marges de manœuvre financières vont se rétrécir jusqu’à imposer la remise en question de privilèges, d’acquis que l’on croyait inaliénables. Des choix difficiles devront être faits : faudra-t-il augmenter les impôts ? Sacrifier certaines dépenses de santé ou d’éducation ?

Face aux arguments idéologiques, aux lobbies et aux intérêts corporatistes, l’Etat devra être en mesure d’expliquer ses choix et de rendre des comptes au citoyen contribuable. Il sera donc nécessaire de faire valoir une politique d’évaluation digne de ce nom. Ce n’est pas la culture française qui prévaut aujourd’hui.

Les auteurs de cet ouvrage montrent que pourtant une démarche rigoureuse d’évaluation est possible ; des pays tels que les Etats-Unis, l’Australie, la Grande Bretagne pratiquent des politiques d’évaluation avec des méthodes différentes mais qui ont fait leurs preuves et qui sont reconnues par les citoyens et les institutions publiques parce que financées comme telles et indépendantes du pouvoir politique.

A partir de nombreux exemples concrets, les auteurs déclinent les effets apparents, les effets cachés ou externalisés et les choix qui auraient pu être faits après évaluation. Observer finement les politiques d’aides au logement, les conséquences de la baisse de la TVA sur la restauration, les aides pour le retour à l’emploi, la mise en œuvre du RSA etc…conduit à mettre en lumière non seulement les effets directs plus ou moins facilement mesurables mais aussi les effets d’équilibre (exemple de la croissance des prix de l’immobilier liée à l’offre de prêt à taux zéro), les effets d’éviction pour les personnes ou ménages exclus du dispositif bien qu’en proximité des seuils et de ce fait pénalisés, les effets d’aubaine liés à l’attitude opportuniste de certains bénéficiaires. La mesure du bénéfice final d’une politique publique n’est pas seulement le fait de chiffres bruts et d’une analyse quantitative mais d’une analyse rigoureuse et d’une observation qui requièrent indépendance et temps long ce qui en général ne correspond pas au temps du politique qui voudrait rapidement tirer des enseignements d’un choix de politique publique. En France où la pratique de l’évaluation n’est ni institutionnalisée, ni systématique, c’est plus souvent les effets médiatiques, quelques débats télévisés mettant en scène des situations apparemment contradictoires qui conduisent à des conclusions hâtives.

Les auteurs proposent trois méthodes d’évaluation actuellement mises en œuvre par d’autres pays : la méthode des expérimentations « contrôlées » ou aléatoires qui consiste à observer deux groupes choisis au hasard (semblable au protocole utilisé dans la recherche médicale), la méthode des expériences naturelles où l’observation comparée porte alors sur la population concernée par une mesure et ceux non concernés, et la méthode de régression par discontinuité qui consiste à observer les populations en proximité du seuil qui marque l’attribution ou non d’une aide publique par exemple. Ces méthodes scientifiques ont le mérite de poser des hypothèses claires qui peuvent ensuite être discutées et permettre aux citoyens de s’approprier le débat au-delà de simples conclusions statistiques fournies par exemple par les administrations qui ont initié les politiques publiques observées.

Partant de ce constat et des expériences conduites avec succès dans d’autres pays, les auteurs suggèrent une dizaine de propositions concrètes de nature « à contrarier la dynamique politico-législative néfaste décrite plus haut ». Sans les citer toutes, ils suggèrent pour changer radicalement notre approche, d’inverser la charge de la preuve en matière de politique publique : tout dispositif devrait s’éteindre spontanément, son maintien n’étant acquis qu’après des résultats probants constatés par une évaluation indépendante. La loi devrait de façon systématique prévoir le coût de l’évaluation en amont tout comme elle doit garantir l’indépendance des évaluateurs et la nécessité de définir une éthique de l’évaluation. Prévenir les conflits d’intérêts, favoriser les évaluations croisées et permettre aux citoyens de comprendre grâce à une appropriation pédagogique proposée par les médias serait un gage de crédibilité aujourd’hui indispensable.

Des choix difficiles devront être faits demain. S’ils sont faits sur la seule base de rapports économiques ou d’expertises proches du pouvoir, ils ne pourront recueillir l’assentiment des citoyens. Une démarche scientifique indépendante est indispensable, et les auteurs en proposent le contour dans cet ouvrage. La démocratie et la paix sociale en dépendent mais cela exige du politique qu’il accepte une remise en cause des fonctionnements actuels, qu’il s’associe pleinement à une nouvelle démarche d’évaluation et qu’il accepte de douter du bien fondé et des résultats de son action.