Voici un livre qui s’attaque à un thème clivant : celui de la construction européenne. Dans cet essai stimulant et argumenté, Coralie Delaume choisit clairement son camp. Elle dénonce une construction européenne jugée peu démocratique, libérale et taillée sur pièces pour l’Allemagne. Blogueuse reconnue, Coralie Delaume se lance ainsi dans l’arène du débat politique avec un livre argumenté et convaincant.

Pour l’auteur, un des gros problèmes de l’Europe tient à l’idée initiale autour de laquelle s’est cimentée toute la construction européenne, à savoir le maintien de la paix, dans un continent qui avait supporté trois guerres en 70 ans. Cet objectif initial et incontestable légitime toutes les décisions de Bruxelles et des institutions européennes, même si elles ne sont pas prises de manière démocratique. Le maintien de la paix pousse aussi, presque intrinsèquement à la construction européenne, à se méfier des nations, tenues pour responsables de ces guerres successives. Et la gauche, à court d’idées, utilise l’Europe comme cache-misère et idéologie de substitution. De cache-misère, nous dit l’auteur, car la construction européenne « permet d’escamoter un ralliement sans condition aux préceptes néolibéraux. ». Ce ralliement est perceptible dans la politique gouvernementale française qui fait de la réduction des déficits publics à 3 % du produit intérieur brut l’alpha et l’omega de toute sa politique économique. L’Europe sert aussi à la gauche d’idéologie de substitution, c’est un « Grand Dessein » par défaut, après que l’expérience soviétique semble avoir disqualifié le socialisme. L’ « Européisme », idéologie de substitution, a pris, selon Coralie Delaume, le pas sur toutes les idéologies.

Pour appuyer son propos, l’auteur passe en revue les temples de l’ « ère technocrate » : la Commission européenne qui n’est responsable devant personne, la Banque européenne et l’Europe des juristes. Elle revient sur le parcours des pères de l’Europe, comme Jean Monnet, qui a regardé toute sa carrière le modèle anglo-saxon. Secrétaire général adjoint de la Société Des Nations, il fut ensuite banquier aux Etats-Unis et vice président de la Bancamerica Blair. Son modèle est celui des Etats-Unis d’Amérique où la question des nations ne se pose pas. La communauté européenne du charbon et de l’acier qui permet de diluer les nations pour maintenir la paix est un bon exemple de cette philosophie.

Coralie Delaume consacre également un chapitre à la « nouvelle question allemande ». Pour elle, l’Europe est devenue le chef d’orchestre d’une zone monétaire qu’elle a organisée de manière à payer le moins possible. Les modalités de fonctionnement en vigueur dans la zone euro lui permettent en effet de se reposer sur le rôle répressif des marchés financiers, auxquels elle délègue le soin de convertir ses partenaires à la rigueur et à la parcimonie. Ainsi, l’Allemagne, avec son lourd passé politique ne gouverne pas de Berlin, mais de Bruxelles.

Ce qui pose problème en Europe aujourd’hui, nous dit l’auteur, c’est la tension entre l’idée d’Europe telle qu’avancée au départ, faite de coopérations entre les pays et les populations et l’Europe telle qu’elle s’est effectivement construite, « à coups de triomphe de l’économie et du droit, d’effacement du politique, de mise à l’écart des peuples et d’idolâtrie d’un instrument monétaire ».

Le paysage actuel de l’Europe est certes sombre, mais l’auteur nous propose dans la conclusion une voie de sortie pour relancer autrement la question européenne en sortant du risque d’asphyxie qui peut encore peser sur les économies les plus fragiles.

Coralie Delaume reprend à son compte l’idée des économistes Jacques Sapir et Frédéric Lordon de transformer l’euro, monnaie unique en « monnaie commune ». Il ne s’agit pas de sortir de l’euro, mais de créer une sorte de monnaie pivot autour du cours duquel serait déterminé er régulièrement ajusté le cours des monnaies nationales réintroduites. Ce qui aurait pour double avantage de permettre aux différents pays de s’ajuster entre eux et de donner à ce nouvel euro un rôle de protecteur vis-à-vis de l’extérieur qu’il n’a pas tenu jusqu’à présent.

A la veille des élections européennes, ce livre stimulant gagne à être lu par tous ceux qui n’ont pas arrêté leur choix de vote.