C’est en novembre 1967, à Liévin, que commence une aventure humaine et industrielle exemplaire à bien des égards. Les douze imprimeurs cédétistes qui créent la coopérative ouvrière de production L’Artésienne ne savent pas encore que leur secteur est à la veille d’une révolution technologique sans précédent. Ils sont d’abord animés par un idéal militant, par le désir de se battre ensemble pour leur activité, dans un Pas-de-Calais déjà sinistré. Fonder une entreprise est un pari ; fonder une entreprise différente, où l’homme aura la place centrale, est un choix. C’est ce choix qui va permettre à la coopérative de 1967 de survivre et de se développer jusqu’à devenir une des entreprises les plus performantes du secteur, sans renier ni son idéal mutualiste et humaniste, ni les principes de gouvernance qui font des « Scop » un modèle de gestion alternatif, avec un président élu, des associés égaux et des modes de management forcément différents.

C’est dans la débrouille que tout commence, entre soutien des familles et des réseaux d’amis, mais aussi contacts avec les premiers clients, issus du monde coopératif et du syndicalisme. Parmi ces clients, l’Union confédérale des ingénieurs et cadres, qui lui confie l’impression de Cadres et professions ; aujourd’hui encore, c’est L’Artésienne qui imprime votre revue. juL’achat des premières machines, la location des locaux. Auparavant, il a fallu trouver une forme juridique appropriée à l’ambition d’une gestion collective de l’entreprise. Le modèle des « communautés de travail », un temps envisagé, est abandonné car l’aspiration communautaire qu’il met en œuvre dépasse le simple cadre de l’entreprise ; or, c’est précisément pour sortir du paternalisme et de son mélange des genres, en affirmant des valeurs d’autonomie, que les fondateurs de L’Artésienne ont décidé de passer le pas. Une entreprise économiquement saine, au service des hommes : à ces principes fondateurs, on peut ajouter le respect de la personne et la valorisation des différences. Ce qui va permettre le développement d’une culture de la responsabilité et favoriser l’apparition, dans ce cadre démocratique, de pratiques managériales à la fois assumées et différentes.

Mai 68 est un moment fort de la vie de l’entreprise, à la fois pour la résonnance forte de l’esprit du mouvement avec les idéaux mis en œuvre à L’Artésienne, et pour la spécialisation industrielle qu’elle va développer : affiches, tracts. Le passage à l’offset, puis à la PAO, sont faits au bon moment, et la gouvernance particulière de l’entreprise lui donne une sensibilité au métier qui contribue grandement à lui faire passer les étapes d’une révolution technologique qui va laisser nombre de concurrents sur le carreau. Plusieurs crises rythment ainsi un parcours dont les tensions politiques et managériales ne sont pas absentes, mais la gestion collective permet d’élaborer des décisions qui, pour être parfois difficiles, n’en ont pas moins une forte légitimité. Tout autant que l’engagement fort des sociétaires, c’est cette capacité à prendre collectivement la bonne décision qui a permis à L’Artésienne de tenir bon et aux nouvelles générations de rester fidèles aux idéaux des fondateurs.