1. Il est plus que jamais nécessaire de bien distinguer « fonds » et « fonds ». Entre les hedge funds spéculatifs destinés à tirer le meilleur rendement boursier au détriment de toutes autres choses (l’économie de casino, effectivement, dans ce cas), les LBO spéculatifs, les LBO destinés à la levée de fonds pour la création d’entreprises, les capitaux destinés à la transmission d’entreprises qui n’auraient pas de repreneur, ou encore des entreprises qui peinent à se développer et ne trouvent pas de solution d’augmentation de capital auprès des opérateurs bancaires, il y a un fossé énorme et de très grandes disparités. Il existe des différences importantes entre grandes entreprises multinationales et petites et moyennes entreprises qui préfèrent se retourner vers des investisseurs et gestionnaires de fonds plutôt que de s’adresser au marché financier et à la Bourse.

La relation entre capital et travail, suivant les situations s’en trouve profondément modifiée. Si le capital joue trop souvent contre le travail, si les outils de gestion actuels jouent encore trop souvent contre l’emploi, il n’en est pas moins utile de faire preuve de discernement, dans l’intérêt des salariés. Nous avons entendu et observé des situations en entreprise où la relation entre l’apporteur de capital et l’apporteur ou les apporteurs de travail, les salariés, les cadres et même les cadres dirigeants était très étroite, beaucoup plus en tous cas qu’entre les actionnaires de telle ou telle entreprise multinationale et l’entreprise elle-même et ses composants, salariés, sous-traitants, et in fine, le travail.

Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans la majorité des cas étudiés, les entreprises sous LBO correspondent à des entreprises où existent des gains de productivité potentiels, importants, des gisements de productivité pour reprendre les termes des investisseurs. Dans le cas de LBO en cascade, lors du troisième ou quatrième LBO, il y a fort à parier que la « bête » a déjà été bien « saignée » et qu’il n’y a plus rien à « gratter ».

2. La question du montage du business plan ou plan d’entreprise sous LBO est déterminante. Quelle place à la stratégie industrielle, à plus ou moins long terme, ou au contraire à très court terme – et s’agit-il encore alors d’une stratégie ? Quelle place le plan d’entreprise fait-il à la R&D, à l’innovation, au maintien durable du moteur de compétitivité ?

Toutes ces questions sont déterminantes sur la vie et l’avenir de l’entreprise. Ce plan d’entreprise va le plus souvent fixer la durée du LBO, en d’autres termes la durée du remboursement total de l’emprunt effectué par l’entreprise auprès d’un investisseur ou d’un établissement bancaire. Plus la durée est courte, plus l’entreprise devra dégager du cash pour rembourser sa dette et plus la pression sur les salariés, les fournisseurs, les sous-traitants sera forte. La question de la date de sortie du LBO est donc déterminante. C’est un enjeu majeur d’intervention syndicale. Encore faut-il qu’existent les conditions et moyens de cette intervention.

3. Une autre question importante est celle des modalités de la redistribution des résultats, en cours de LBO ou au moment de la sortie. Les expertsparlentdu « multiple » pour qualifier le coefficient multiplicateur de création de valeur et traduisant ainsi la hausse de rentabilité. Ce multiple peut être de 3 pour les investisseurs (je récupère 3 fois la mise initiale) ou varier de 2 à 15 pour les managers. Par managers, il faut entendre le directeur général, éventuellement son comité de direction, les cadres dirigeants, mais cela ne dépasse que rarement ce premier ou ce deuxième cercle. Les experts parlent là aussi de logique d’« alignement ou de proximité d’intérêt » entre investisseur et manager.

Mais quel intérêt ? Financier, individuel ou intérêt pour l’entreprise et ses parties prenantes internes ou externes ? Force est de constater que la redistribution peut être très inégalitaire et ne fait pas l’objet d’une quelconque concertation et encore moins d’une négociation.

Quelques dirigeants en profitent grassement et les autres fabriquent le cash à la sueur de leur front. Et nous ne parlons pas des parties prenantes externes à l’entreprise, les fournisseurs, les sous-traitants, soumis à de fortes pressions, mais aussi parfois les usagers qui sont parfois victimes d’une dégradation de la qualité de service. Là aussi, on a un fort enjeu d’intervention syndicale, à condition de disposer a minima des informations sur le plan d’entreprise, les conditions de l’emprunt, du remboursement et de redistribution du résultats après remboursement de la dette.

4. Enfin, dernière remarque complémentaire avant d’aborder la question des leviers et du contenu de l’intervention syndicale, sur le dispositif de montage juridique du LBO. Les cas que nous avons étudiés mettent clairement en évidence un mécanisme type consistant à créer une holding qui enregistre l’emprunt et donc vers laquelle l’entreprise sous LBO, devenue filiale, va faire son reporting et rembourser sa dette.

Les salariés et militants syndicaux que nous avons rencontrés nous ont tous exprimé la difficulté d’obtenir des informations auprès de la direction de l’entreprise ou de la holding. Les élus se voient souvent opposer la remarque suivante : « cela concerne la holding, nous n’avons pas le droit de vous donner les informations ». Une holding qui se trouve hébergée bien souvent dans un pays voisin.

Autant dire que le combat juridique pour permettre aux instances représentatives du personnel de recueillir l’information va être rude.

Il faudra le mener à l’échelle européenne également. Le dialogue social transnational s’impose de plus en plus.

Compte tenu de ces divers éléments, quelle stratégie, quelle posture syndicale adopter, comment équiper les équipes syndicales en entreprise pour intervenir sur ces questions ? Quel type d’intervention économique et financière sur ces dossiers ? Les réponses ne sont pas simples.

Jusqu’à présent, nous avons bien entendu les déclarations des organisations syndicales dénonçant les abus, de la seule logique financière, à très court terme. Et cela est nécessaire. Nous avons aussi entendu leur demande de plus de transparence de la part des entreprises, des gestionnaires de fonds, des investisseurs. Tout cela est légitime. Mais il nous faut aujourd’hui aller plus loin. L’intervention syndicale doit porter également sur les éléments suivants :

  • l’accès au business plan, la présentation de celui-ci aux IRP et le dialogue social avant validation de celui-ci
  • la négociation de la date de sortie de la dette, pour prendre en compte les rythmes de digestion par les organisations, les salariés dans l’entreprise, mais aussi des critères de secteur, de marché et de conjoncture économique
  • la négociation des règles de redistribution de la valeur ajoutée, de la répartition du « multiple », en veillant au périmètre des bénéficiaires, dans une logique d’équilibre entre rétribution et contribution, entre prise de risque et rémunération. Quelle place à l’investissement en R&D, en innovation, en formation, dans cette redistribution ?
  • la pression sur les entreprises mais aussi sur les investisseurs pour adopter des comportements socialement responsables ou plus responsables, pour prendre en compte les externalités, c’est-à-dire les coûts externalisés par l’entreprise ou le groupe sur son environnement : sous-traitant, filiales, prestataires y compris à l’autre bout du monde, collectivité, bassin d’emploi… toutes les parties prenantes externes
  • la pression sur les investisseurs en matière d’investissement socialement responsable et sur les organismes de notation pour intégrer ces critères d’évaluation.

Nous souhaitons aussi faire progresser la capacité des équipes syndicales en entreprise à aborder les questions de stratégie, de plan d’entreprise et donc les questions économiques et financières, ce à quoi nous ne sommes en général pas bien préparés. Le thème du capital investissement nous offre une opportunité d’une critique renouvelée du capitalisme, sur son propre terrain de jeu. Un véritable enjeu pour le syndicalisme, dans les années à venir.

Le colloque du 13 juin 2008 organisé par l’Observatoire des Cadres sur ce thème a été l’occasion d’aborder ces questions et de valoriser les travaux du groupe de travail « Outils de gestion et gouvernance » au sein de la CFDT Cadres.

Les actes en seront disponibles sur le site : www.cadres-plus.net