La loi de 1971 : un système qui s’essouffle

La mesure phare de cette loi c’est l’obligation de financement pour la formation faite aux entreprises. En contre-partie de cette obligation, l’employeur décide seul des actions conduites dans le cadre du plan de formation, qui représente l’essentiel des dépenses de formation. Il y a peu de possibilités d’intervention syndicale dans l’entreprise sur cette question qui prend de plus en plus d’importance dans la vie et la carrière des salariés. Cela a été confirmé par l’audit que nous avons effectué sur nos pratiques syndicales, à l’occasion de la négociation. Cela explique, pour une large part, la difficulté à faire évoluer le système en le rendant plus simple, plus efficace et mieux adapté aux transformations du marché du travail et aux besoins des salariés et des entreprises.

A la reprise de la négociation, la CFDT a exprimé sa satisfaction car pour nous, il y a urgence à agir. En effet, les salariés sont aujourd’hui confrontés au chômage, aux restructurations, à la mobilité dans la profession ou dans le territoire et à la nécessité permanente de maintenir leurs compétences et leurs qualifications.

Or, le système actuel a conduit les entreprises vers des actions d’adaptation à court terme sans investissement réel sur les compétences des salariés au-delà des exigences de leur poste. Pour la CFDT, la formation professionnelle continue doit aussi permettre d’améliorer et de garantir l’adaptabilité et l’employabilité des salariés, ce qui suppose de déplacer le curseur du poste à la personne, et du court au moyen ou long terme.

La formation professionnelle doit être au service d’une stratégie d’emploi centrée sur des transitions professionnelles.

Quantitativement, le système actuel a des conséquences dramatiques. Seul un salarié sur quatre a accès à la formation. Elle profite surtout aux plus qualifiés, aux hommes plus qu’aux femmes, aux salariés des grandes entreprises, plutôt qu’à ceux des petites, et très rarement aux salariés en fin de carrière. La loi instaure une obligation de financement, mais pas de résultats. Aussi les actions de formation ne sont pas toujours sanctionnées par une certification ou une reconnaissance dans l’entreprise. Plus grave encore, la formation n’est pas inscrite dans la carrière des salariés.

Au-delà de l’entreprise, il convient aussi de regarder le fonctionnement global du système. Pour la CFDT, c’est simple, il n’y a pas de pilote dans l’avion. La formation professionnelle continue relève d’une multiplicité d’acteurs, et à cet éclatement s’ajoute le cloisonnement de leur action et l’accumulation des dispositifs. Tout cela contribue à rendre le système aussi opaque qu’inefficace. La formation professionnelle continue donne ainsi l’image d’un système tourné sur lui-même, sans lien avec la qualification et l’emploi.

A nos yeux, la clarification du rôle des acteurs est aussi nécessaire dans la définition du champ d’intervention politique que dans la gestion des dispositifs.

Dès l’ouverture de la négociation, la CFDT a insisté sur la nécessité de remettre les salariés au centre du système de formation, avec comme objectif la sécurisation de leurs parcours professionnels. Pour ce faire, nous revendiquons la primauté des partenaires sociaux à conduire, de façon négociée, les évolutions leur étant destinées.

Les objectifs de la CFDT

Nos objectifs sont de créer de nouveaux droits pour les salariés, des droits garantis collectivement qui leur permettent enfin d’accéder cette « formation tout au long de la vie » qui ne doit plus être un vain mot. Ces nouveaux droits doivent être attractifs, visibles et faciles à utiliser. Ils doivent susciter un désir de formation : nous savons bien, à présent, que l’existence du droit à la formation ne crée pas une demande spontanée. Plus le parcours personnel a été éloigné de la formation, moins l’envie d’y accéder est forte.

Nous voulons aussi une profonde réforme du système, qui nous permettrait de réinvestir politiquement la formation par le biais d’une négociation liant ce sujet et celui de l’emploi.

Nos propositions visent à répondre aux nouveaux enjeux auxquels sont confrontés les salariés. C’est pour cela que nous revendiquons un passeport formation ouvert à tous les salariés, quelle que soit leur entreprise. Ce passeport, lié à la personne et donc transférable en cas de mobilité, devrait permettre de faire émerger chez tous les salariés l’envie de se former et la possibilité de construire des projets de qualification. Il s’inscrirait dans la carrière d’un individu, par des rendez-vous obligatoires permettant de définir des propositions d’accès à la qualification ou à la validation.

Il témoignerait de leur parcours tout au long de leur carrière professionnelle et en ce sens pourrait être utilisé pour faire valoir les activités occupées, les compétences développées et les formations effectuées.

Nous voulons amplifier l’accès à la validation des acquis. Dans cette négociation, notre tâche est double. En premier lieu, installer le dispositif réglementaire dans le paysage de l’entreprise, en développant sa prise en charge, en agissant sur son utilisation individuelle et collective. Ensuite, travailler à l’élaboration d’un dispositif paritaire de certification et de VAE pour les certificats de qualification professionnelle qui déboucherait sur un accord spécifique.

Nous voulons aussi réformer l’offre de formation, en proposant la fusion de tous les contrats existants en un seul contrat dit « de professionnalisation ». Plusieurs constats appuient cette proposition. Tout d’abord, depuis 1983, l’élévation du niveau d’étude des jeunes. Ensuite, la diminution programmée des classes d’âge, et l’allongement de la durée des carrières. Il faudra ainsi former moins de jeunes, mais plus d’adultes : on songe en particulier aux salariés expérimentés en deuxième partie de carrière, aux femmes de retour de congé parental.

Nous voulons disposer d’un outil de formation s’adressant à l’ensemble des salariés. Ce nouveau contrat devrait être adapté, dans sa durée et dans son contenu, à la formation initiale et à l’expérience des jeunes et des adultes concernés, suivant en cela l’esprit de la VAE.

Notre objectif est aussi de permettre aux salariés d’être acteurs de leur formation, par la mise en place d’un co-investissement basé sur le volontariat et qui conduit à une reconnaissance directe dans l’entreprise, par l’accès à la qualification, à la promotion, ou une augmentation de salaire…

Enfin, nous insistons sur le rôle d’un congé individuel de formation, renouvelé et amplifié par un financement supérieur, un apport possible des individus, des branches, de l’état et des collectivités locales en fonction de leurs priorités d’emploi/formation.

Les lieux de la négociation : branches et entreprises

La négociation de branche est centrale. C’est là que peuvent s’effectuer les choix sur les publics et les priorités et donc les affectations financières.

Nous avons proposé de consolider ce rôle de pilotage en demandant que notre négociation s’inspire des lignes directrices pour l’emploi adoptées par la Commission Européenne le 8 avril 2003. Bruxelles fixe dix priorités d’action destinées aux états membres, accompagnées d’objectifs. Certaines priorités d’action intéressent directement la formation professionnelle continue, comme l’accroissement du taux de participation des adultes à la formation de 15% en moyenne d’ici 2010 ou l’accroissement des investissements des entreprises, pour atteindre 5% des coûts totaux de main-d’œuvre. De même, l’accès à la formation participe à la diminution de moitié des écarts de rémunération entre hommes et femmes d’ici 2010, ce qui est l’un des objectifs fixés par la Commission.

Nous souhaitons que la négociation nationale interprofessionnelle propose cette logique aux négociateurs de branche et fixe à son niveau des marges de réduction des inégalités ou des écarts.

De même, la CFDT a demandé que nos publics prioritaires soient les jeunes, les salariés sans qualification, en particulier les femmes et les salariés des TPE/PME, et les salariés expérimentés.

Cette procédure est dynamique et engageante ; elle montre aussi que les partenaires sociaux français se situent dans la démarche européenne.

Dans les entreprises, nous réclamons la négociation du programme triennal d’emploi et de formation. Prévu par l’accord de 1991, il connaît aujourd’hui peu de réalisations.

Le plan de formation pourrait ensuite décliner en mesures opérationnelles les orientations du programme triennal.

Nous demandons enfin que les CE et les syndicats aient la possibilité de faire appel aux experts sur l’emploi et la formation.

Réformer le financement

L’obligation de financement, née de la loi de 1971, a contribué à faire de la formation une composante majeure de la gestion des ressources humaines. Ce comportement est à mettre à l’actif de l’obligation légale. Mais cette obligation légale se traduit davantage par une obligation de dépenses que par la production de résultats qualitatifs : il est nécessaire de franchir une étape supplémentaire. La CFDT propose de transformer cette obligation en obligation conventionnelle. On pourrait ainsi mieux répondre au défi de la qualification, en permettant la négociation sur la formation à tous les niveaux, en faisant émerger des politiques et des moyens cohérents avec la situation de l’emploi et les besoins de formation.

Cette gestion plus autonome des partenaires sociaux permettrait d’affirmer la responsabilité conjointe des employeurs et des salariés dans l’utilisation des fonds de la formation, dans le contrôle et l’évaluation. Elle permettrait de mieux mutualiser les budgets et de décider de l’affectation des fonds par la négociation interprofessionnelle et de branche. L’obligation conventionnelle faciliterait enfin les actions dans un cadre pluriannuel, aujourd’hui interdit par l’annualité budgétaire. Le taux actuel (1,5% de la masse salariale) n’est pour nous qu’un taux de base, qui pourrait être amélioré dans le cadre des négociations de branche.

Des organisations paritaires efficaces

Il est urgent de se doter d’organisations paritaires efficaces au regard de la décentralisation et de l’évolution de l’emploi et de l’économie. Pour cela, nous demandons la création dans chaque branche d’observatoires paritaires sur les métiers et les qualifications. Il faut revoir l’organisation du paritarisme dans l’espace régional car les organisations d’employeurs et de salariés y sont mal positionnées, notamment quand il s’agit de négocier avec les maîtres d’ouvrage que sont les conseils régionaux. Ce rôle central des conseils régionaux exige par symétrie que les partenaires sociaux se constituent en interlocuteurs organisés. Il faut que le paritarisme se régionalise, tant au niveau des branches qu’au niveau interprofessionnel. C’est pour cette raison que la CFDT veut doter les CPNE et les COPIRE de nouvelles missions et d’un nouveau statut ; c’est pour cela aussi que nous demandons la mise en place de commissions paritaires locales pour les petites entreprises et celles de l’artisanat. C’est enfin pour cela que nous proposons qu’une partie du financement soit mutualisé au niveau territorial.

Un accord à durée déterminée

Parce que les évolutions de l’emploi et de l’économie sont permanentes, que les besoins en formation changent, nous demandons que cet accord soit à durée déterminée, 5 ans, pour permettre un ajustement régulier du système.

L’économie générale de la réforme

Les écologistes disent : « faire plus avec moins », nous disons « faire mieux avec autant », puisque nous acceptons que dans la période l’effort supplémentaire demandé aux entreprises soit limité.

Par quels moyens ?

Un seul contrat de professionnalisation au lieu de quatre contrats d’alternance actuels.

Des périodes de formation pour ce contrat et des contenus modulables.

L’accès à la certification par la V.A.E.

Un passeport formation qui favorise la mobilité.

Une orientation des financements vers ceux qui en ont besoin : salariés en 2ème partie de carrière, femmes, salariés des TPE-PME.

Une réforme de la nature du financement pour introduire plus de fluidité entre les deux grandes catégories de financement (plan de formation, et alternance). Aujourd’hui, cette répartition est fixée pour toutes les entreprises, respectivement à 0,90% et 0,40%, alors même que les secteurs professionnels et leurs besoins respectifs sont différents. Parfois ce sont des jeunes qu’il faut former, parfois ce sont des salariés expérimentés qu’il faut réorienter.

Nous voulons aussi introduire des économies de structures en proposant qu’il n’y ait plus qu’un seul organisme collecteur interpro par région au lieu de deux. Et pourquoi ne pas travailler aussi sur le nombre des collecteurs professionnels ?

Il faut aussi savoir proposer à d’autres des partenariats : avec l’Etat, les collectivités territoriales, l’Europe, pour qu’ils puissent abonder nos dispositifs en fonction de leurs priorités, salariés expérimentés pour l’Etat, infirmières pour une région, chauffeurs routiers pour une autre, par exemple.

Quelles sont les difficultés de la négociation ? Elles tiennent pour partie à l’évacuation des fantômes de 2001 et en particulier la définition des actions de formation réalisables hors temps de travail. Or, le patronat évacue la confrontation directe sur cette question. Enfin, la transformation de l’obligation légale en obligation conventionnelle effraie par ses changements radicaux maintes organisations syndicales et patronales. Reste que le dialogue social a semblé connaître un renouveau, au cours du premier semestre 2003, avec trois négociations centrales : celle sur la formation professionnelle continue, celle sur les restructurations et celle de l’égalité professionnelle qui s’est ouverte le 24 juin. Elles ont des liens évidents, elles doivent permettre de sécuriser les parcours professionnels des salariés et de donner sens à notre slogan : « zéro chômeur, le plein emploi pour tous ».