La collection « Que sais-je ? » dont les livres sont désormais classés par thème dans les librairies et ne portent plus de numéro, vient d’être complétée par un livre qui, vu la situation socio-économique dans la quasi-totalité des pays, devrait intéresser un grand nombre de lecteurs.

Ce livre traite des droits sociaux et est rédigé par un professeur de droit public qui dirige le Centre de philosophe juridique et politique à l’Université de Cergy-Pontoise. L’expérience professionnelle acquise dans le cadre de cette direction semble avoir considérablement influencé la rédaction de ce livre. En effet, la moitié de ce livre (les deux premiers chapitres) est consacrée aux aspects historiques et philosophiques des droits sociaux, tandis que les deux chapitres restants traitent des droits sociaux au niveau national (en France) et « par-delà de l’Etat », c’est-à-dire au niveau international. De ce point de vue, le livre semble bien équilibré.

Le lecteur s’intéressant particulièrement à la notion de droits sociaux, aux réflexions philosophiques et à l’évolution de ces droits sociaux apprendra, entre autres, que du point de vue d’une contestation de ces droits, « la pensée de Friedrich Hayek est restée comme l’illustration la plus classique du rejet de l’idée de ‘droits sociaux’ au nom d’une idéologie libérale ».

Ce prix Nobel d’économie, en critiquant la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, a insisté sur le fait que, pour lui, la Déclaration « ne contient rien qui définisse ces droits de telle façon qu’un tribunal puisse éventuellement spécifier leur contenu dans un cas d’espèce ». Du point de vue de la défense des droits sociaux, référence est faite, par exemple, à la mention de ces droits dans les constitutions, à Lord Beveridge qui « préconise l’établissement d’un système de protection sociale généralisée, ainsi qu’un service de santé gratuit et ouvert à tous » ou aux travaux fondamentaux de l’Organisation Internationale du Travail en ce qui concerne l’aspect international des droits sociaux.

Pour ce qui est des droits sociaux en France, l’auteur souligne à juste titre que si « le rayonnement constitutionnel des droits sociaux en France est plus restreint que dans d’autres constitutions européennes, leur place dans l’ordre juridique (….) n’est pas moins importante du fait d’un vaste développement au niveau législatif », développement qui a été illustré en matière de sécurité sociale par une référence aux actuelles discussions relatives à un « cinquième risque de protection sociale » consacré à la dépendance et la perte d’autonomie. L’importance de l’évolution du droit de travail a été mis en avant par une référence aux réalisations de la protection acquise dans les années trente (limitation de la journée de travail), dans les années 1950 (développement du système d’assurance chômage) et les années 1980 (les lois Auroux). Mention a été également faite de l’évolution de la garantie de minima sociaux avec référence au RMI et dans sa prolongation du revenu de solidarité active, ainsi que à des prestations spécifiques telles que l’allocation adulte handicapé (AAH) ou l’allocation de parent isolé (API).

Le dernier chapitre traite des droits sociaux par-delà l’Etat, c’est-à-dire du droit international de la protection sociale. Il présente un intérêt particulier, étant donné que cet aspect important est peu traité dans les publications d’accès facile. Après avoir souligné que « l’essor des droits sociaux sur le plan international coïncide chronologiquement avec l’impulsion des bases du Welfare State au lendemain de la Seconde Guerre mondiale », Herrera aborde la Déclaration universelle des droits de l’homme, la décision de l’Assemblée générale de l’ONU d’établir deux traités portant sur, d’une part, les droits civils et politiques, et d’autre part, sur les droits économiques, sociaux et culturels qui furent adoptés en décembre 1996 et rappelle à juste titre que l’Organisation Internationale du Travail (institution spécialisée des Nations-Unies qui siège à Genève) reste l’institution la plus efficace sur le plan de la protection internationale des droits sociaux des travailleurs.

Il y aurait toutefois lieu d’ajouter qu’il s’agit d’une efficacité sur le plan géographique universel et qu’il s’agit d’une organisation qui a également une importance capitale pour les partenaires sociaux en raison de son fonctionnement et du mode d’élaboration des Conventions. Parmi les nombreuses Conventions de cette organisation (plus de 180), Herrera se limite à en citer quelques-unes en précisant que « la plus ancienne ratifiée par la France remonte à 1930 (C29) sur le travail forcé ».

Il est toutefois regrettable que ce livre n’insiste pas sur la Convention (n°102) concernant la sécurité sociale (norme minimum) ratifiée par la France en 1974, laquelle a accepté les parties II, IV et IX. En effet, cette convention, d’une importance fondamentale de plusieurs points de vue, dont notamment le fait qu’il s’agisse d’une convention universelle qui n’est pas limitée à une région géographique donnée, définit un système global de sécurité sociale comprenant les neuf branches classiques de la sécurité sociale, à savoir : soins médicaux, indemnités de maladie, prestations de chômage, prestations de vieillesse, prestations en cas d’accident de travail et de maladies professionnelles, prestations de familles, prestation de maternité, d’invalidité et de survivants.

Après cette approche universelle, Herrera aborde l’approche régionale : la construction communautaire, en mentionnant particulièrement la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 et son évolution, les mécanismes du « dialogue social européen » qui réserve une place importante aux partenaires sociaux et au rôle joué par la Cour de Justice des Communautés européennes et qui veille à ce que la législation de l’Union européenne soit interprétée et appliquée d’une manière uniforme dans les Etats-membres ainsi qu’au respect du droit communautaire par les Etats-membres.

Quant au système de protection sociale créé par le Conseil de l’Europe, l’auteur n’a mentionné que sommairement les traités fondamentaux en matière des droits sociaux, élaborés et adoptés au sein de cette organisation européenne et qui comprend actuellement plus de 45 Etat européens dont tous les Etats-membres de l’Union européenne, à savoir la Charte sociale européenne, adoptée en 1961 à Turin, et bien entendu la Charte révisée, dont les articles constituent un ensemble de protections sociales exemplaires (qui pourrait bien constituer la base d’une définition opérationnelle de la notion de droits sociaux) ainsi que les traités essentiels en matière de sécurité sociale, c’est-à-dire le Code européen de sécurité sociale et le Code révisé qui comportent les neuf branches classiques de la protection internationale en matière de sécurité sociale (citées ci-dessus).

Il insiste finalement, ce qui est véritablement méritoire, sur la Convention européenne des Droits de l’Homme, dont certains droits ont des prolongements d’ordre économique et social.

Le chapitre sur le droit social international est enrichi par des réflexions portant sur les apports du droit étranger, qui illustrent des aspects spécifiques en la matière, empruntés à des pays européen ou non.

Le livre semble donc être bien équilibré du point de vue des aspects traités et pourrait éventuellement constituer une bonne introduction en la matière. Toutefois, le lecteur, curieux ou déjà familiarisé avec le domaine traité, reste malheureusement souvent sur sa faim ; ce qui est certainement dû, non à la conception des « Que sais-je ? » mais plutôt au volume restreint dont dispose l’auteur.

En tout état de cause, une version révisée s’impose, donnant au lecteur une vision plus exhaustive, claire, précise et, d’une manière générale, plus satisfaisante des droits sociaux. Il y a tout d’abord lieu de trancher pour savoir s’il faut se contenter d’un seul volume pour traiter ce domaine, ce qui aurait comme inconvénient de ne pas pouvoir être suffisamment explicite ; ne faudrait-il pas plutôt envisager deux (ou même trois) ouvrages distincts, permettant de donner au lecteur une vision plus satisfaisante.

L’explication des droits sociaux nationaux (au niveau de la France) devrait être enrichie par une référence plus exhaustive à la protection sociale en France dont les Français (et le cas échéant également les ‘non’ Français) bénéficient. Une interrelation entre le droit national et le droit international, en matière de droits sociaux, pourrait montrer d’une part comment, dans le cadre de l’élaboration du droit international, le droit national joue un rôle fondamental ; et d’autre part illustrer l’impact direct du droit international sur le droit national, via ses instances de contrôle ou, même concrètement, via la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Dans ce dernier cas il ne faudrait pas se limiter à mentionner les arrêts de la Cour mais également mettre en évidence le système de contrôle de l’exécution de ses arrêts qui permet clairement de relever les modifications législatives effectuées par l’Etat, suite aux arrêts de la Cour. La procédure de ratification des traités internationaux montre également très clairement que les Etats, avant de procéder à de telles ratifications, modifient, en cas de besoin, leurs législations pour les adapter au normes internationales afin de ne pas rencontrer de problèmes lors du contrôle de l’application des traités.

En outre, il ne faudrait pas négliger l’influence exercée par les traités internationaux sur les modifications législatives effectuées aux cours des dernières années par les pays d’Europe centrale et de l’est qui ont cherché à transformer leur ancien système d’économie dirigée en économie de marché ou en économie sociale de marché, ainsi que sur les modifications qui doivent encore être réalisées.

En relation avec les travaux récents menés en France en matière de dépendance, une référence à ce qui a d’ores et déjà été proposé au niveau international aurait été fort instructive. En effet, la sixième Conférence des Ministres européens responsables de la sécurité sociale (Lisbonne 1995) a traité du thème « Dépendance et sécurité sociale » et a fait des propositions en la matière, aux niveaux national et international. Ainsi, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a déjà adopté en 1998 une Recommandation à l’attention de ses Etats membres, contenant des suggestions précises à réaliser au niveau national dans le domaine de la dépendance.

Le Secrétaire Général de cette organisation en place à cette date, Catherine Lalumière, a déjà proposé, lors d’un colloque au début des années 1990, la création d’une dixième branche de sécurité sociale consacrée à la dépendance, qui s’ajouterait au neuf branches classiques adoptées au niveau international en matière de sécurité sociale.

L’aspect international pourrait également être considérablement enrichi en ajoutant, de façon explicite, aux instruments d’harmonisation ou de convergence, les instruments de coordination des législations de sécurité sociale au niveau bi- ou multilatéral en faveur d’une protection sociale appropriée et juste des travailleurs migrants ou, plus largement, des personnes se déplaçant entre les états, adoptés par les états ou préparés essentiellement au sein de l’OIT, de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe.

Un aperçu des traités internationaux ratifiés par la France permettrait au lecteur d’avoir une information plus complète sur un sujet aussi important, et ceci aussi bien pour les traités régionaux que ceux de l’OIT.

Enfin, la bibliographie indiquée pourrait être très utilement complétée on y ajoutant des publications dont la lecture s’impose pour bien comprendre le sujet, par exemple : Jean-Pierre Laborde, Droit de la sécurité sociale, Presses Universitaires de France, Paris 2005 ; Bettina Kahl-Wolff / Pierre-Yves Greber, Sécurité sociale : aspects de droit national, international et européen ; Helbing et Lichtenhahn, Genève, Bâle, Munich, 2006 ; Jef van Langendonck (ed), The Right to Social Security, Intersentia, Antwerpen-Oxford, 2007 ; Lenia Samuel, Droits sociaux fondamentaux, Jurisprudence de la Charte sociale européenne, 2e édition, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg 2002.

En conclusion, le « Que sais-je ? » de Carlos Miguel Herrera sur les droits sociaux comble certainement une lacune dans ce type de publication, qui s’adresse à un large public, et pourrait devenir, une fois révisé et augmenté (voire éclaté en plusieurs ouvrages), en tenant compte de certaines des observations formulées ci-dessus, une publication de référence très enrichissante, et même passionnante, dans un domaine, parfois très complexe et souvent technique, tant pour le non spécialiste que pour le spécialiste.