Il n’y a aucun mérite à apprécier une perle quand on a la chance de tomber dessus. Ce serait une erreur de se laisser abuser par la modestie de l’écrin qui l’abrite et une faute de la garder pour soi.

C’est le cas de l’ouvrage de Dominique Camusso. L’éditeur est peu diffusé, à l’aune sans doute de son lectorat habituel (très) spécialisé en sciences sociales. La jaquette est minimaliste, la composition visiblement « faite main ». L’auteur est discret. Il ne souhaite rien vendre, il donne. Sa contribution est à la rencontre de deux de ses qualités. Il est expert en pédagogie des adultes et c’est un professionnel confirmé de la formation professionnelle continue en entreprise.

Son dernier ouvrage, Les plans de la formation, est tout à la fois une contribution d’expert/praticien sur un objet étrange (le plan de formation en entreprise) et un support pédagogique remarquablement facile d’accès et de compréhension. Sans jamais sacrifier à la simplification (pour faire « opérationnel »), il évite l’écueil consistant à vouloir épater le lecteur sur la robustesse conceptuelle (pourfaire « savant »). Misen regard de la production habituelle dans ce domaine, le plus souvent par des consultants désireux de légitimer et packager leur offre, ou par des chercheurs soucieux de reconnaissance dans leur propre monde, son ouvrage prouve la possibilité d’un apport, simplement professionnel, rigoureux. Au-delà du truisme qui oppose sur un mode binaire et exclusif, « l’utile pas nécessairement vrai » et le « vrai pas toujours utile », il pense sa pratique et il pratique sa pensée. L’objet est suffisamment répandu pour que, familiarité aidant, on en oublie la complexité et l’importance.

Ritualisé, encadré réglementairement, informatisé, « procédurisé », objet de concertation mais rarement « négocié », le plan de formation paraît si banal, au moins pour ceux qui ne le pratiquent pas, qu’il n’y est consacré en général qu’un court chapitre à dominante instrumentale. Tout (ou rien) y est pourtant ! Et là commence la difficulté. Derrière une désignation apparemment simple et univoque le plan de formation est soumis à différentes logiques non spontanément convergentes et à l’influence de diverses « technologies invisibles » (budgétaire, réglementaire, informatique, qualité…). Sa maîtrise exige une capacité à jongler sur plusieurs niveaux d’organisation (ou sous-systèmes) qu’éclairent successivement les chapitres du livre, du niveau le plus fondamental au niveau le plus formel.

En les reprenant rapidement dans l’ordre inverse, il y a le « plan qualité » des plans de formation. Depuis le milieu des années 1980, il détermine beaucoup de la forme (contractualisation, démonstration de la preuve que « l’on fait ce que l’on dit et que l’on dit ce que l’on fait ») sans pour autant résoudre ce qu’il éclaire néanmoins ; la quadruple recherche de l’efficacité, de la conformité, de l’efficience, et peut-être plus encore, de la pertinence. L’efficience est notamment l’affaire du « plan pédagogique », domaine d’expert, traité dans le chapitre le plus fourni en références théoriques, pour des pratiques souvent très peu fondées en entreprise.

Par contraste, « le plan du social » est toujours développé et médiatisé parce qu’il fait intervenir les partenaires sociaux soumis à avis et parce que la réglementation exige qu’un (en fait trois) document « matérialise » et formalise projets et plan, les intentions de l’entreprise et le bilan, les réalisations tracées. Efficacité et conformité sont évidemment abordées par les plans financier et budgétaire (distincts), bien plus structurants qu’il est d’usage de le reconnaître, et du coup, objets de bien des jeux d’impasses et de contournements. C’est dans ces chapitres que l’on trouvera la proposition originale d’un « concept/acteur », le prescripteur de formation, arbitre dans son espace de délégation des deux plans de fond, les plans individuel et stratégique.

Tous deux essentiels à la pertinence de la formation, ils sont traités à l’aide d’une grille réélaborée et mise en perspective à partir des travaux de Claude Dubar et de Jean Marie Barbier. Si l’intérêt de cette grille échappe aux étudiants ou aux dirigeants, gageons que les praticiens et les consultants qui feront l’effort de se l’approprier feront de cet ouvrage un classique incontournable de la formation de formateurs. Elle éclaire en effet de manière directement opératoire, en reliant les deux niveaux d’organisations (stratégique et individuel), le mystère de la définition des besoins de formation.

A travers le concept de tensions nées de la perception d’écarts, elle facilite la compréhension des arbitrages et des hiérarchisations de la réponse formative dans ce qui reste essentiellement un pari ; « le pari de la formation pour résoudre un problème (…) le pari de l’utilité d’une action sur les personnes ». La banalité, le consensus, l’universalité de cette conviction d’utilité est précisément le piège que débusque l’auteur. « En effet, si chacun se sent autorisé à avoir un avis sur cette question, ce n’est malheureusement pas pour autant que cet avis sera autorisé »…