Ce numéro spécial de la revue, guide du manager CFDT, n’a pas vocation à être exhaustif, même s’il couvre un large périmètre d’actes de management, de pratiques managériales et propose une analyse syndicale des modèles et pratiques en vigueur. Il se veut être une réponse à de nombreuses attentes exprimées par des adhérents CFDT - cadres, experts, managers dans leur entreprise ou leur administration - qui nous ont interpellés ces dernières années sur l’appui que pourrait leur apporter la CFDT Cadres dans l’exercice quotidien de leurs responsabilités. Demande d’appui, de conseil, de soutien, de formation ou d’outils pratiques... C’est à ces demandes que nous avons voulu répondre en inscrivant la production de ce numéro destiné à nos adhérents dans le plan de travail de la 14ème mandature CFDT Cadres. Tout comme la constitution de l’offre de formation avec le Crefac, nous entendons répondre à leurs attentes. Au-delà du service auprès de nos adhérents, c’est également à partir d’un diagnostic d’un état du management jugé insatisfaisant que nous avons entrepris différents travaux, depuis plusieurs années, en lien avec l’Observatoire des Cadres et, plus récemment, avec le Crefac.

Nous pensons en effet qu’un autre management est possible. Nous affirmons qu’un autre modèle de développement, basé sur la qualité, doit intégrer un management de qualité. C’est le sens de la tribune que nous avons publiée à l’occasion du dernier congrès confédéral en juin 2014 à Marseille dans laquelle nous affirmions qu’« une économie de la qualité ne peut faire l’économie de la qualité d’un autre management. » 1 Oui, un autre management est possible pour davantage de coopérations entre les parties prenantes, davantage de coopération et moins de compétition exacerbée qui joue contre la performance globale de l’entreprise ou de l’administration. Un autre management pour plus d’écoute et de prise en compte de la parole sur le travail, sur l’activité et sur les compétences. Pour porter cette parole dans les lieux de décision où elle est cruellement absente et pour moins de tableaux de bord avant tout destinés à rassurer ceux qui ne s’intéressent pas au travail lui-même, ou en sont éloignés, au profit de ses seuls résultats.

L’enjeu est d’accroître l’autonomie professionnelle, de négocier les conditions de cette autonomie, de développer un véritable appui aux salariés du privé comme du public et aux managers de proximité en particulier. Il faut leur permettre de se former, de se qualifier et de développer leurs compétences. Il y a trop de gâchis de compétences, de mises au placard, de fuite de responsabilité sur le devenir de chacun en matière d’emploi et de parcours professionnel. L’enjeu est également celui de l’équité et de la transparence dans la redistribution de la valeur ajoutée vers les salariés. Une redistribution qui pérennise « l’entreprise des salariés » plutôt que « la société de capital et ses actionnaires ». L’entreprise doit en effet être managée au regard d’une finalité commune à l’ensemble de ses parties prenantes et non comme un objet de droits de propriété. Nous voulons ainsi plus de participation des salariés et de leurs représentants à la prise de décision, pour un développement soutenable.

Cet autre management, c’est enfin celui qui permet d’articuler dialogue social et dialogue professionnel. L’un ne peut exister sans l’autre et les deux ne peuvent se réduire à des démarches descendantes en top-down. C’est bien en repartant du travail, de l’activité et du « professionnel » que doit émerger une parole « portée » dans les processus de prise de décision de l’entreprise et de l’administration dans le dialogue social et au sein de la négociation collective. Le canal hiérarchique de remontée de cette parole et de cette expression coexiste de fait avec le canal de la représentation collective. Mais en s’ignorant le plus souvent. L’un est filtré par les niveaux hiérarchiques, conduisant souvent les directions en réunion d’instances (CE, DP) à exprimer leur « découverte d’une telle situation » et en remerciant même parfois les élus de cette remontée, même si ce filtre les arrange en les épargnant des « problèmes quotidiens » du travail et de l’activité. L’autre peut tout aussi bien être filtré, retravaillé, interprété, voir manipulé par certains élus qui ne représentent plus qu’eux-mêmes mais en aucun cas une expression collective consolidée des attentes et besoins des salariés. Le risque de la déconnexion des réalités reste permanent. C’est bien pourquoi les deux conditions doivent être réunies : existence de chacun des dialogues et articulation. Articuler, cela signifie créer les passerelles entre les espaces de dialogue, créer les lieux de rendez-vous, selon une fréquence à définir, entre ces deux espaces comme entre les différents acteurs concernés. C’est en ce sens que la CFDT Cadres a parlé de « rendez-vous » entre le syndicalisme et les cadres lors du dernier congrès confédéral. Les élus doivent parler aux cadres et aux managers. Et ceux-ci doivent dialoguer avec les élus qui ont tout à gagner à écouter la parole des managers de proximité. Ils ont tout à gagner à écouter leurs difficultés, les injonctions auxquelles ils doivent faire face et les tensions professionnelles auxquelles ils sont confrontés. Pour porter cela dans le dialogue institué, pour être pertinents et pour ajuster efficacement leurs demandes et leurs revendications.

Les managers ne sont pas des héros. Leur responsabilité et leur autonomie ne leur garantissent pas une réponse à tout, a fortiori dans un contexte de réduction des budgets, des moyens, des marges de manœuvres ou d’initiatives. L’absence de réponse tangible, fiable et opérante leur fait courir le risque d’être montrés du doigt, d’être accusés d’être responsables des souffrances des salariés et de leurs mauvaises conditions du travail. Et, bien souvent, les organisations syndicales et les élus ne s’en privent pas. La réponse aux attentes des salariés n’est pas et ne sera jamais le monopole de quiconque. Pas plus du manager que de sa ligne hiérarchique ou de la fonction RH. Elle n’est certes pas non plus le monopole des partenaires sociaux qui dialoguent et négocient dans l’entreprise ou l’administration. Mais il convient d’insister sur la qualité des résultats, sur les compromis obtenus par le dialogue social et la négociation collective pour transformer le quotidien des salariés, que ce soit sous la forme de droits ou de garanties collectives mais aussi de conditions d’exercice du « bien faire » leur travail. C’est bien toute la question de l’effectivité et de l’efficience des accords conclus à tous les niveaux. C’est aussi là que le syndicalisme a rendez-vous avec les cadres pour une mise en œuvre opérationnelle, effective et efficace des règles négociées. Il est de la responsabilité des élus de veiller à ce que ces résultats se traduisent dans les faits en proximité avec l’activité. Cela suppose que les managers et en particulier les managers de proximité disposent des moyens de la mise en œuvre des accords.

Faisons ainsi la démonstration qu’avec la CFDT - forte d’adhérents cadres toujours plus nombreux - un autre management est possible. N’est-ce pas une double fierté d’appartenir à la CFDT et d’assumer en qualité de manager son ambition de changer le management ? Le chantier peut sembler colossal. Mais nous ne pouvons en faire l’économie. Puisse ce guide y contribuer tant je crois l’enjeu capital.

1 : 48ème congrès CFDT, tribune libre de la CFDT Cadres.