Cette période est une opportunité pour renouveler les modes d’organisation et les pratiques de management, en échos aux aspirations des salariés pour aller vers plus de démocratie dans l’entreprise avec des pratiques de management participatif.

 

  1. Maintenir la priorité à la santé

 

Si la prise en compte des conditions de travail par le management n’est pas nouvelle, tous les témoignages d’entreprises récoltés par l’Anact au printemps dernier ont confirmé la priorité donnée à cet enjeu lors du premier confinement. Pour l’ensemble de la ligne managériale, « la santé des collaborateurs est devenue prioritaire ». Le sujet a nourri et renforcé le dialogue social au sein des instances et conduit les manageurs à davantage prendre en compte les préconisations émanant des acteurs de la prévention. Cela s’est traduit par des adaptations de l’organisation du travail[1].

Le fait d’élaborer ces protocoles au plus près du terrain, en concertation avec les équipes concernées, est un facteur facilitant leur mise en œuvre. A contrario, des mesures prises de façon centralisée et sans concertation avec l’encadrement de proximité ont souvent été jugées « inapplicables » ou « prises en dépit du bon sens ». De nombreux témoignages évoquent par ailleurs une attention plus grande aux risques psychosociaux, même si celle-ci reste focalisée sur le télétravail. La connaissance du travail et des équipes, la qualité du dialogue social et des relations professionnelles, le soutien de la direction ou bien encore les marges de manœuvre laissées aux équipes opérationnelles sont autant d’éléments qui ont, semble-t-il, facilité la possibilité pour l’encadrement d’intégrer « sereinement » cet enjeu de prévention des risques professionnels dans cette période. La question du dilemme entre productivité et sécurité est toutefois loin d’être dépassée et il convient d’observer ce qu’il en est dans la durée.

Sur le long terme, cette attention accrue aux questions de santé et de sécurité au travail risque de s’estomper et d’être perçue comme une injonction paradoxale. Certains arbitrages se feront, sans aucun doute, au détriment des mesures de sécurité. Dans les grandes entreprises, les logiques de rentabilité, de baisse des coûts et les pratiques de rationalisation éprouvées qui les accompagnent risquent de revenir en force sous la pression des actionnaires avec des effets sur l’ensemble des PME sous-traitants et fournisseurs.

Si l’on veut que la prévention devienne demain une fonction partagée elle doit s’appuyer sur l’expression d’une pluralité de points de vue et une mobilisation de tous : les préventeurs, la fonction ressources humaines, les représentants du personnel, la direction ainsi que les manageurs. Au-delà de la formation et du soutien à apporter aux manageurs, il s’agit de revoir en profondeur les modes de gouvernance, de fonctionnement de l’entreprise et de repositionner le personnel d’encadrement sur le « management du travail »[2].

 

  1. Repositionner les manageurs sur des activités de régulation

 

Soutenir les équipes, organiser l’activité, réguler la charge, reconnaître le travail de chacun sont au cœur de l’activité de l’encadrement de proximité. Ces régulations managériales, souvent difficiles à mettre en œuvre en raison d’un éloignement du terrain des manageurs, se révèlent plus cruciales encore en situation de crise avec des modes d’organisations dégradés.

Dans de nombreux cas, les manageurs se sont attelés à l’organisation du télétravail de tout ou partie de leurs équipes en veillant à ce que les salariés concernés disposent des moyens matériels requis. D’autres ont été contraints de mettre au chômage partiel leurs salariés avec un appréciation, service par service, des personnes potentiellement concernées. Plusieurs entreprises ou associations, à l’image de bon nombre d’entreprises adaptées, ont réorienté totalement leur activité en fonction des besoins liés à la crise sanitaire avec des aménagements techniques et organisationnels importants.

La période conduit également les manageurs à prendre davantage en considération les situations personnelles. Avec la notion de « personnes à risque » les employeurs sont amenés à appréhender des questions de santé pour permettre ou non à un salarié de rester ou de revenir sur son poste de travail. Ces éléments ont fait évoluer la relation managériale vers un registre plus personnel.

Ce travail d’organisation du travail, de soutien aux équipes, de management d’une diversité de situations est essentiel dans la période. Il se traduit par davantage d’écoute, de dialogue avec les équipes, de gestion de situations particulières, et in fine plus de sollicitation sur le registre de la régulation managériale. Ce qui se joue bouscule les habitudes et il faut pouvoir accorder du temps à l’échange autour de ce qui préoccupe les professionnels dans leur activité.

Pour autant, l’enquête de l’Anact met en évidence qu’un salarié sur quatre estime ne pas avoir été suffisamment soutenu par son manageur. Certains témoignages récoltés font état de situations d’isolement. Au-delà du soutien technique et organisationnel, la crise et ses conséquences sur le travail de chacun (charge de travail, craintes pour son emploi, sa santé, remise en question du sens de son activité, renforcement du besoin de reconnaissance, etc.) ont ainsi généré des besoins de soutien psychologique. Si pour certains salariés, la période a pu renforcer le sentiment d’appartenance à l’entreprise, d’autres, ont décroché ou aspire à changer de travail.

Le personnel d’encadrement va, demain, devoir composer avec des collectifs de plus en plus hétérogènes où cohabitent des salariés en présentiel et en distanciel, en surcharge et en sous charge de travail, dans des dynamiques d’engagement ou de retrait en lien avec des enjeux de sens et de reconnaissance au travail. L’équilibre à trouver entre l’élaboration de règles collectives pour manager ces organisations plus hybrides et les nécessaires régulations individuelles à opérer au cas par cas compte tenu des craintes et des situations propres à chacun ne sera pas simple à trouver.

Les questions de reconnaissance au travail, exacerbées par la crise vont, sans aucun doute, occuper les DRH et les manageurs pendant quelques temps. Au-delà de la reconnaissance monétaire, souvent proposée pour les salariés les plus exposés, c’est l’ensemble des registres de la reconnaissance qu’il conviendra d’activer dans le cadre d’une approche plus globale susceptible de revaloriser le travail[3]. Insuffisamment préparés à cela et cantonnés jusque-là sur d’autres priorités (gestion, reporting, pilotage des projets…), les manageurs ont souvent du mal à répondre à ces besoins de régulation managérial exacerbés par la crise. In fine, la question sera de savoir si cette attention aux questions du travail par le management va perdurer et favoriser un véritable changement de pratiques.

 

  1. Faire émerger de nouvelles dynamiques de coopération

 

La désorganisation créée par la situation sanitaire a fait émerger de nouveaux modes de fonctionnement et de régulation au sein même des collectifs de travail. Des initiatives collectives et individuelles, souvent en dehors des procédures habituelles, ont permis de trouver des réponses innovantes et adaptées à la situation du moment. Ces dynamiques d’auto-organisation et de responsabilisation des collectifs de travail ne sont pas toujours visibles. Cela s’est parfois traduit par des propositions d’aménagement de l’organisation du travail, des solutions nouvelles proposées aux clients ou le traitement en autonomie de situations problèmes avec le soutien et l’encouragement de leur hiérarchie. C’est aussi, dans d’autres cas, une refonte des processus de décisions et périmètres de responsabilité avec davantage d’autonomie laissée aux équipes de terrain.

Des initiatives, susceptibles de perdurer au-delà de la crise, renforcent le sentiment d’appartenance au collectif de travail. Citons par exemple les mécanismes qui ont permis aux équipes soignantes de faire face, au plus fort de la crise sanitaire, à l’arrivée massive de malades, parfois en situations d’urgence vitale, dans un contexte de pénurie de moyens matériels et de personnel. Une intelligence collective qui s’accompagne d’une solidarité entre pair et de relations professionnelles intenses renforcées par un fort sentiment d’utilité.

Des mécanismes d’autorégulation observées ont pallié aux difficultés ou au manque d’agilité des organisations formelles qui préexistaient en apportant des réponses adaptées à la situation. Cette reprise en main du travail par ceux qui le réalise a été, pour beaucoup d’observateurs, bénéfique. On peut toutefois s’interroger sur la capacité des entreprises à faire perdurer ces alternatives organisationnelles.

Si les pratiques d’entraides et de coopération, les prises d’initiatives et les dynamiques d’intelligence collective ont tout intérêt à perdurer, elles ne peuvent pas reposer uniquement sur des processus informels et des régulations autonomes. En référence aux approches défendues par le réseau Anact, il apparaît opportun de développer des organisations apprenantes avec des pratiques de régulation conjointe qui légitiment le rôle d’interface et de traduction de l’encadrement de proximité.

En conclusion, les réponses apportées pour faire face à la crise sanitaire sont multiples. La mise en place d’une approche concertée de la gestion de la crise et des réflexions engagées sur les chantiers à conduire à moyen terme sont des voies prometteuses pour sortir plus fort de cette période. En matière de management, la crise a révélé des fragilités qui préexistaient ou accéléré des mutations déjà en cours comme le télétravail et le management d’organisations hybrides. Pour autant, les manageurs ont été confronté à de nouveaux défis qui ne vont pas disparaître avec la résolution de la crise.

[1] Données issues de l’enquête en ligne « travail sur site en période de crise » réalisée par l’Anact entre le 20 et 25 mai 2020, 834 répondants.

[2] Cf. P. Conjard, Le Management du travail, une alternative pour améliorer bien être et efficacité au travail, Anact, 2015.

[3] Cf. les travaux du réseau Anact sur la reconnaissance au travail et le webinaire « 4 choses à savoir sur la reconnaissance au travail en période de crise », 2 déc. 2020.