L’évolution générale des formes d’engagement bénévole se traduit aujourd’hui par de nouvelles catégories de motivations qui s’inscrivent davantage dans des logiques personnelles d’engagement (se rendre utile/efficace, acquérir une expérience, se faire des amis, prendre des responsabilités, favoriser son développement personnel). Pour Dan Ferrand-Bechmann, les bénévoles deviennent militants quand ils défendent une cause et partagent le projet social dans lequel ils s’engagent. Ces nouvelles motivations expriment le passage d’une logique traditionnelle d’engagement militant à une logique d’engagement bénévole qui présenterait un degré d’engagement moins fort vis-à-vis de la cause investie. Partant de ces constats, nous proposons ici une synthèse de nos travaux de recherche sur les questions relatives aux formes d’engagement bénévole et à leur évolution, dans le contexte plus particulier de la professionnalisation des centres sociaux associatifs. Après un tour d’horizon des principaux auteurs qui se sont intéressés à cette question notamment autour de l’émergence d’un rapport pragmatique à l’engagement qui accompagne une rationalisation plus forte des activités (1), nous proposons de présenter les résultats issus de l’enquête menée dans les centres sociaux dont l’objectif était d’identifier les nouvelles modalités d’entrée en bénévolat (2).

 

  1. L’engagement bénévole dans un contexte de professionnalisation associative

 

Pour expliquer l’évolution des formes d’engagement bénévole, Jacques Ion identifie le passage d’un engagement total à un engagement distancié. L’engagement distancié est réversible et limité dans le temps. Il peut prendre plusieurs formes simultanément et se mettre au service de causes multiples. L’engagement total s’inscrit dans une logique d’affiliation (militantisme classique) qui implique une inscription collective dans un espace de sociabilité (qu’il soit hérité et/ou partagé). Dans ce mode affilié, l’exercice de la citoyenneté prend une place très importante. L’engagement conduit à s’insérer dans une forme de microcosme qui réunit les conditions de la démocratie représentative. L’entrée en association correspond alors à un processus de socialisation politique (élections, assemblées générales) qui permet de réaliser des carrières militantes (on franchit des échelons en termes de responsabilité en prenant appui sur la formation en interne). L’engagement distancié mobilise davantage un modèle affranchi dans lequel les acteurs s’identifient moins à la structure. L’insertion dans une organisation structurée n’est alors plus autant un déterminant de l’engagement. Les bénévoles auront ainsi tendance à privilégier l’action ou le projet davantage que la logique traditionnelle d’investissement dans une organisation donnée. Les compétences sont alors moins à acquérir qu’à mobiliser ; les nouveaux membres sont considérés comme étant déjà dotés de compétences spécifiques et utiles pour le collectif à moins qu’ils ne les acquièrent par la formation.

Ce sont donc des bénévoles compétents qui naviguent entre plusieurs associations : des seniors qui mettent leurs expériences au service d’un nouveau projet, des juniors en formation ou qui transfèrent leurs compétences (écoute, accompagnement). Ces nouveaux « experts militants » s’impliquent tout en gardant leurs distances. Ils développent une réflexivité par rapport à leur engagement.

Pour Norbert Alter, il s’agit d’un don équilibré qui s’articule à des enjeux spécifiques de reconnaissance. Dan Ferrand-Bechmann montre ainsi que les bénévoles font des liens entre leur expérience bénévole et leur activité professionnelle (passée, exercée, souhaitée) : tester sa vocation, poursuivre une carrière à laquelle on a renoncé, compenser une activité professionnelle non satisfaisante. Cette évolution s’inscrit plus largement dans un contexte de professionnalisation associative qui engage la mutation des formes d’organisation du travail.

Maud Simonet-Cusset souligne à cet égard que les nouvelles formes d’organisation qui tendent à la rationalisation des activités concernent plus particulièrement les bénévoles qui sont en contact avec des salariés et/ou qui sont en première ligne pour répondre aux demandes des publics. L’engagement s’inscrit alors dans un cadre formel : les bénévoles entrent dans une organisation formelle d’activité (une forme d’institutionnalisation) qui répond à des exigences réglementaires (dans le sens de la qualité, du contrôle et de la légitimation des actions). La reconnaissance de l’expérience bénévole en VAE (valorisation des acquis de l’expérience) permet par exemple de valoriser un engagement qui devient utile dans la construction d’un parcours professionnel. Plusieurs outils de capitalisation voient ainsi le jour (Passeport bénévole[1]) permettant d’engager une forme de reconnaissance des compétences.

Ainsi les logiques personnelles s’inscrivent dans un rapport pragmatique plus globalement constaté parmi les évolutions inhérentes à l’engagement bénévole. Ce rapport pragmatique se distingue d’une part d’un rapport total à l’engagement (militantisme classique) dans lequel le centrage se fait sur les valeurs dans une logique de don et d’autre part d’un rapport totalement individualiste (consommation de bénévolat, développement personnel, quête de lien). Le rapport pragmatique d’engagement (engagement pour une cause, pallier à une organisation défaillante ou satisfaire les besoins d’une population) engage une logique personnelle : le bénévole se mobilise pour une cause qu’il cherche d’abord à comprendre avant de la défendre.

Ces logiques pragmatiques d’engagement ont pu être identifiées dans l’enquête réalisée dans les centres sociaux sous le prisme de l’identification des composantes d’entrée en bénévolat, à la fois sur les plans affectif (motivations), cognitif (compétences) et social (conditions d’accueil).

 

  1. Résultats de l’enquête menée dans trois centres sociaux

 

Du côté des motivations (composantes affectives), le bénévolat correspond d’abord à des expériences singulières. Le bénévolat ne s’inscrit pas dans une tradition familiale mais s’associe à une réflexion personnelle sans que cette dernière ne soit associée aux activités choisies dans le cadre d’un engagement en centre social. Les projets de bénévolat à la retraite peuvent constituer une envie de prolonger le sentiment d’utilité procurée par l’activité professionnelle ; parfois même sur recommandation de l’entourage. Le bénévolat des retraités peut alors s’inscrire dans le prolongement d’une activité bénévole commencée avant le départ en retraite. Parmi les motivations énoncées, on trouve le plaisir de la rencontre avec l’autre et le besoin de lien social. D’autres bénévoles cherchent des appuis professionnels sans pour autant qu’il y ait un lien direct avec l’activité visée (remettre le pied à l’étrier, travailler en équipe). Enfin, des bénévoles cherchent parfois une forme d’intégration différente (aide à l’apprentissage du français pour une femme d’origine brésilienne).

Du côté des compétences (composantes cognitives), elles peuvent être déjà acquises ou s’associer à un engagement amateur (rompre avec l’activité professionnelle antérieure). Le rapport aux compétences peut par ailleurs s’élargir aux dimensions culturelles du travail sans viser une expérience précise (être inséré dans un collectif de travail) lorsque la motivation associée est de l’ordre de retrouver une activité professionnelle (chômage).

Les conditions d’accueil et d’accompagnement (composantes sociales) jouent enfin un rôle sur l’entrée en bénévolat et le renouvellement de l’engagement. Ainsi, la présence d’un référent qui coordonne l’activité (ici salarié) est récurrente dans le fonctionnement des centres sociaux rencontrés ; cette présence permet une appropriation des missions et des logiques spécifiques d’intervention. Des périodes d’observation sont instituées (deux mois environ) pour permettre à chacun (le salarié référent et le bénévole) de situer les logiques respectives de chacun, les besoins du public... Cette forme d’intégration dans l’espace de travail permet aux bénévoles de prendre leurs marques (le temps, le rythme). Les bénévoles font explicitement référence au coordinateur d’activité comme ayant contribué à leur accueil/intégration dans les structures.

La suite de l’enquête permet ensuite de comprendre que les portes d’entrée en bénévolat, si elles correspondent d’abord à des besoins et des attentes spécifiques (affectifs, cognitifs, sociaux), ne demandent qu’à évoluer au fur et à mesure des engagements pris selon la qualité d’écoute du projet bénévole initial qui pourra ainsi évoluer vers des responsabilités plus importantes.

Ainsi, si les bénévoles arrivent avec des motivations individuelles (retraite, chômage), ils font évoluer leur projet d’engagement en élargissant leur contribution dans la structure. Une bénévole retraitée dont les attentes s’inscrivent dans la mutualisation des échanges et le travail en équipe va, par exemple, participer à l’ensemble des réunions liées à son activité en suivant la personne qui l’accueille dans un premier temps puis en prenant l’initiative d’intégrer d’autres groupes de travail. Une autre bénévole retraitée, qui attend qu’on la soutienne dans son projet de passage à la retraite, va au fil de l’accompagnement, élargir sa participation en s’investissant dans une autre activité (au bout de deux ans environ). Enfin une bénévole qui attend de son bénévolat de se remettre dans le bain professionnel, va progressivement s’engager dans le renouvellement du projet associatif. Les bénévoles évoluent quand ils se sentent écoutés, accompagnés et reconnus. Cela commence par une participation aux réunions directement associées à l’activité. Cela se poursuit par une augmentation du temps de présence (cumul d’activités en tant que bénévole ou découverte d’une activité en tant qu’adhérent). Enfin, ce peut être se présenter au Conseil d’administration, participer au renouvellement du projet associatif...

Les pratiques d’accompagnement et de formation développées à l’égard des bénévoles impliquent, pour éviter l’écueil de ne répondre qu’à une logique d’organisation « instituante », d’être pensées dans une réflexion globale qui s’articule aux attentes en lien avec les modes d’entrée en bénévolat. La connaissance des modes d’entrée dans le bénévolat permet alors d’identifier les attentes et d’en mesurer les enjeux associés (un don équilibré pour reprendre les termes de Norbert Alter). S’engage alors un nouveau rapport au travail et aux compétences qui permet de penser la formation des bénévoles dans un cadre plus coopératif et qui implique de penser les places respectives de chacun.

Références bibliographiques

Alter, N. (2010). « Ingratitude et engagement raisonné », in N. Alter (Ed.), Donner et prendre: la coopération en entreprise (pp. 178-220), La Découverte. Bourrieau, J. (2011). L’Education populaire réinterrogée, L’Harmattan. Ferrand-Bechmann, D. (2000). Le Métier de bénévole (éd.2002), Anthropos. Ferrand-Bechmann, D. (2004). Les Bénévoles et leurs associations, L’Harmattan. Ion, J. (1997). La Fin des militants ?, Editions de l’atelier. Ion, J. (2003). « Modes d’engagement et savoirs associatifs : petit coup d’œil dans le rétroviseur », in Y. Lochard & M. Simonet Cusset (Eds), L’Expert associatif, le savant et le politique (pp. 21-26), Syllepse. Simonet-Cusset, M. (2004), «Penser le bénévolat comme travail pour repenser la sociologie du travail ». Revue de l’IRES, n°44, 141-155. Simonet-Cusset, M. (2010). Le Travail bénévole : engagement citoyen ou travail gratuit, La Dispute.

[1] Il permet de garder une trace des missions réalisées et regroupe les expériences et compétences acquises, ce qui est utile dans une démarche VAE.