Entre la réformite chronique des ministres successifs et l'immobilisme supposé du système scolaire, la question de la réforme de l'école est devenue un sujet qui fâche. Nombre d'enseignants sont fatigués de la folie du changement qui s'est emparée de leur administration depuis la réforme Haby de 1974, et vu de l'extérieur le mammouth prend de plus en plus l'apparence d'une forteresse assiégée, marchant à reculons entre lamentation et appel héroïque à on ne sait quelle résistance. Bref, ça va mal.

On lira avec d'autant plus d'intérêt le petit livre de Caroline Werkoff-Leloup et Daniel Le Bret que dans la lignée des analyses d'Eric Maurin et Marie Duru-Bellat il consacre de nombreuses pages à revisiter des mythologies tout droit sorties de la Troisième République et qui font aujourd'hui beaucoup de mal à l'école, en l'empêchant de s'extraire de son idéologie fondatrice. L'égalitarisme en est une, tout comme la croyance en la toute-puissance de l'Etat ou la réduction du citoyen à sa dimension « intellectuelle », celle d'un être de raison, dont la position sur le marché du travail, par exemple, n'engagerait en rien sa propension à voter...

Creuset de la République, l'école n'est certes pas une institution comme les autres, et on ne s'étonnera pas qu'elle ait du mal à reformuler ses principes pour leur donner plus de prise sur le réel. Faire la part de la différence entre les territoires et les catégories, s'engager vers une plus grande autonomie des établissements, construire des parcours scolaires plus étroitement connectés avec le monde professionnel sont ainsi perçus comme des entorses aux principes républicains... alors que l'application abstruse de ces mêmes principes ne fait guère que renforcer les inégalités. L'idée d'une performance du système et de ses différentes unités est quant à elle assimilée au diable néolibéral par le principal syndicat du secondaire, arc-bouté sur un langage revendicatif mêlant imaginaire politique de la résistance et défense acharnée d'un statut qui étouffe tout autant qu'il ne protège les enseignants.

Les auteurs consacrent toute la première moitié de leur ouvrage à interroger des questions sensibles comme l'allongement de la durée des études, les faux-semblants de la démocratisation et l'échec scolaire, en confrontant l'ambition politique originelle et sa production sociale. A partir de cet état des lieux sans concession, ils avancent une série de propositions visant une réforme possible plutôt qu'une révolution infaisable. Le temps de la réforme et la nécessaire implication des acteurs sont rappelés, avant la mise au jour de quelques pistes visant à la « réussite scolaire », celle du système comme des personnes. Une réforme des ZEP apparaît ici comme le point fondamental, en association avec un fonctionnement plus autonome des établissements scolaires. Ce n'est pas le montant global des moyens accordés qui joue, mais leur allocation, qui doit devenir un véritable levier politique. Il s'agit, si l'on veut résumer, de promouvoir une politique de la qualité au détriment de la quantité, en osant une culture de la différence qui, sans cela, s'imposera à sa façon informelle et fatale.