La solidarité est le socle de l’homo sociologicus, l’homme lié aux autres et à la société non seulement pour assurer sa protection face aux aléas de la vie, mais aussi pour satisfaire son besoin vital de reconnaissance et réaliser son humanité. Dans des sociétés contemporaines marquées par la déliaison (Zygmunt Bauman) et la désafiliation (Robert Castel), le risque existe que les individus, à mesure que croissent leur autonomie et leur liberté, se sentent libérés de toute dette à l’égard des générations antérieures, peu sensibles au destin des générations futures, et finalement hostiles à l’idée d’une redistribution à l’égard des plus défavorisés. La solidarité demande alors à être repensée, et c’est à en chercher la nouvelle formule que s’attache cet ouvrage ambitieux, qui a réuni 50 chercheurs et intellectuels de tout premier plan. Sa publication à l’orée de la campagne présidentielle est une bonne nouvelle, car les questions posées sont tout simplement fondamentales.

Il s’agit d’interroger la solidarité à l’aune des défis auxquels les sociétés modernes sont confrontées en ce début du XXIe siècle : crise de la société salariale, inégalités entre les générations, inégalités de genre, discriminations multiples, ségrégations urbaines et scolaires intenses, dont les effets suscitent un doute sur nos modèles d’intégration… Les contributeurs de ce volume ont recherché les moyens d’aborder ces questions en refusant les solutions simplistes. C’est dans le dessein de clarifier le débat et de dissiper les fréquentes confusions entourant les questions de solidarité, qu’ils s’adressent ici aux universitaires, aux responsables politiques, aux syndicats, au patronat, aux associations : en bref, à tous les citoyens attentifs aux enjeux des réformes en cours ou à venir.

Interrogeant d’abord l’idée problématique d’une justice sociale, l’ouvrage revient sur les solidarités familiales pour en cerner le renouveau et les limites. Mais le lien entre les générations apparaît comme une problématique plus vaste, qui dans la crise de la société salariale (intensification du travail, instabilité de l’emploi) interroge la forme même de la solidarité et du modèle social de l’Etat-providence fondé sur le travail salarié. Le racisme et les discriminations, les ségrégations urbaines et scolaires apparaissent dès lors comme des mises à vif d’une question plus vaste. La question de la souffrance se repose ainsi au cœur d’une société qui avait travaillé plus de soixante ans à l’écarter – ou à l’occulter ?

Quel modèle d’Etat-providence ? Les devenirs de la solidarité sociale et d’un système assurantiel de moins en moins social obligent à reposer la question de la conciliation entre solidarité sociale et efficacité économique. Une politique européenne, ou à tout le moins une réflexion à l’échelle européenne s’impose alors.