Après deux ans de travaux syndicaux sur l’intelligence artificielle[1], le débat se déplace au niveau européen.

Franca Salis-Madinier. Une politique d’anticipation des effets du numérique, notamment ceux liés à l’introduction des systèmes d’intelligence artificielle (IA) ne se construit qu’au niveau international. Et l’Europe est bien placée pour porter au niveau international les principes d’une IA de confiance et éthique qui respecte la place centrale de l’humain dans la relation avec la machine, et dans le respect des droits fondamentaux. La CFDT Cadres est impliquée au niveau européen sur le sujet de l’intelligence artificielle via les travaux du Comité économique et social européen (Cese) avec le rapport de plusieurs avis pour la CFDT, et au niveau national à travers la mise en place d’un groupe de militants sur l’IA.

La CFDT Cadres a participé à la négociation de l’accord européen sur le numérique

S.-M. L’accord entre partenaires sociaux européens (Confédération européenne des syndicats, BusinessEurop) du 22 juin dernier « European social partners framework agreement on digitalisation » explore les opportunités de la numérisation dans les entreprises, pour les salariés mais aussi pour les demandeurs d’emploi. Il rappelle que la transition « s’accompagne également de défis et de risques pour les travailleurs et les entreprises, car certaines taches vont disparaître et beaucoup d’autres vont changer » ; ainsi, il s’agit « d’anticiper le changement et fournir les compétences nécessaires aux travailleurs et aux entreprises pour réussir à l’ère numérique ».

Les salariés connaissent peu cette possibilité qu’ont les partenaires sociaux européens de se saisir d’enjeux qui concernent les mutations du travail ; citons celui sur le télétravail qui date de 2002, sur le stress en 2004, le harcèlement et la violence au travail (2007) et les marchés du travail favorisant l’insertion (2017).

L’accord ne produit pas une pluie de nouveaux droits tant les législations et acteurs normatifs sont différents d’un pays à l’autre. Il engage cependant un « processus de partenariat » pour explorer les possibilités et les risques du numérique, les questions de compétences et sécurisation de l’emploi, les modalités de connexion et de déconnexion, celles du contrôle de l’intelligence artificielle. A noter que la France est, avec le droit à la déconnexion, en avance de phase sur l’accord.

De son côté la Commission a publié un Livre blanc sur l’intelligence artificielle.

S.-M. La CFDT Cadres a répondu à la consultation « Une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance ». Il est important qu’une voix syndicale se prononce sur la régulation de certaines applications IA utilisées dans les lieux de travail et de leur standardisation, ainsi que sur les questions de la reconnaissance faciale et la responsabilité en cas de mauvais fonctionnement des algorithmes.

Nous affirmons que l’impact de l’IA sur le travail impose de se conformer aux lignes directives éthiques et sociales, afin d’éviter les discriminations et respecter la dignité de l’individu et son droit à la vie privée. La négociation avec les partenaires sociaux sur les données personnelles doit être encouragée, comme le prévoit l’article 88 du RGPD[2]. Un consentement éclairé et informé de la part des travailleurs sur l’utilisation des données personnelles et des protections accrues est crucial.

Certains développements sont qualifiés « à haut risque », notamment dans le domaine des ressources humaines : les applications de recrutement sur la base d’entretiens vidéo, celles d’analyse des expressions faciales des candidats, ou celles qui permettent de surveiller les travailleurs en temps réel et de licencier automatiquement les travailleurs peu productifs ne doivent pas être utilisées sans une négociation préalable avec les représentants des travailleurs. Enfin, la reconnaissance faciale devrait être bannie sur le lieu de travail (et dans les lieux publics) tant qu’il n’y a pas une régulation spécifique européenne.

La CFDT Cadres appelle à un véritable débat public sur ces enjeux qui concernent les citoyens.

S.-M. Parce qu’elle se pose en acteur responsable, la CFDT Cadres a décidé de prendre toute sa place dans ce débat. Il y a besoin d’avoir une vigilance syndicale structurée et ouverte sur ce qui se passe dans les entreprises et en dehors pour anticiper et influencer les choix en termes de formation, d’emplois, d’utilisation des données et des algorithmes, et dans l’interaction de l’humain avec la machine la place laissée à l’humain.

Au vu de l’ampleur des chantiers prioritaires identifiés, la CFDT Cadres appelle à une concertation publique sur l’intelligence artificielle « pour une IA qui ne laisse personne sur le bord de la route ; pour une intelligence artificielle allant de pair avec le progrès social ; pour un rôle actif et éclairé des cadres et managers dans ces transitions ; pour une formation à l’éthique des ingénieurs et des experts ; pour une transparence des algorithmes ; pour une mixité dans les filières numériques ; pour une refondation de la formation initiale et tout au long de la vie ; pour un dialogue social à tous les niveaux ; pour une vigilance et un suivi actifs des transformations du travail »[3].

La CFDT Cadres a créé un groupe permanent de veille sur l’IA auquel elle associe ses militants, ses adhérents des entreprises et des administrations, ceux du secteur de la recherche, pour être acteur et force de propositions dans les débats publics et dans les évolutions du travail au niveau des branches et des entreprises. Elle publiera prochainement un guide à usage des militants CFDT pour agir sur l’intelligence artificielle. Face aux risques et opportunités numériques. La CFDT se pose en acteur pour orienter notre avenir.

[1] Cf. « Travailler avec l’intelligence artificielle », revue Cadres n°479, déc. 2018

[2] « Traitement de données dans le cadre des relations de travail », Règlement général sur la protection des données, Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données., art. 88.

[3] Guides et plaquettes CFDT Cadres sur cadrescfdt.fr/nos-publications.