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La mise en place des flex-office, ou « bureaux flexibles », gagne une partie importante des entreprises. Il est essentiel de faire le lien avec leur accord de télétravail. Plus celui-ci est intéressant pour les salariés, plus le flex-office sera facilement déployé, et inversement : l’absence de négociation, de consensus, de réflexion collective sur le travail à distance sera plutôt signe d’une mise en place brutale d’un nouvel aménagement en bureaux et espaces partagés. Ensuite il faut regarder l’amplitude du projet de flex : nombre de personnes et services concernés, calendrier de mise en place, possibilités ou non d’expérimenter. La réversibilité partielle ou totale est un élément déterminant d’évaluation pour les élus. Il est sûr qu’une entreprise passera d’autant plus facilement en flex qu’elle aura une expérience collective satisfaisante du télétravail. Dans le cas contraire, les tensions managériales sont presque inévitables… Le déploiement du télétravail et de formes dites « hybrides » ont remis sur le devant de la scène l’importance du manager de proximité. Nous pouvons en dire autant du flex-office. La qualité de l’organisation du travail, de son animation, est essentielle dans le flex-office : l’aménagement des temps et des lieux vont de pair.
Il est difficile pour les élus de se positionner globalement pour ou contre un projet tant les métiers et les attentes sont divers, ce alors qu’ils ne sont pas forcément consultés à toutes les étapes. D’autant que le sujet est porteur de fortes attentes et est sensible, puisqu’il touche en profondeur le quotidien de travail. Ceci étant, le comité social et économique (CSE) doit être consulté pour « [..] tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » (article L2312-8 du code du Travail). Mais, autant pour le télétravail il y a des marges de manœuvres, de la négociation possible - le champ est assis au minimum sur un accord national interprofessionnel[1]-, autant le flex-office n’est pas négociable en soi, mais dans le périmètre des conditions de travail. C’est la volonté de l’entreprise qui fait la qualité du caractère collectif du dialogue professionnel et social concernant le projet. On voit souvent des tactiques qui consistent à piéger les élus mis dans la boucle au dernier moment et enfermés de fait dans une posture de refus. On a souvent l’impression de ne pas avoir la main… car on ne nous laisse pas la prendre ! Les élus ne sont pas démunis pour autant : ils sont là pour écouter et transmettre le ressenti des salariés, ils peuvent faire appel à des experts dans des domaines précis tels que l’ergonomie des postes, faire des recommandations précises qui serviront après-coup. Les acousticiens ont un rôle important à jouer, car la question du bruit est essentielle. On voit de belles images d’intérieurs de travail cosys, mais ce qui compte tout autant est le niveau de décibels !
Les analyses doivent porter par métier et par service. Les experts, les commerciaux, les fonctions de ressources humaines ne peuvent pas être logées à la même enseigne. Une bonne connaissance de la sociologie des salariés, et aussi des relations, des interactions qu’il y a entre eux, est indispensable pour penser les espaces de travail. On ne fait plus de flex-office « à la sauvage » comme dans les années 2000 durant lesquelles on étendait les open space, créés pour les entreprises de consulting, à d’autres services ou secteurs d’activités. Aujourd’hui on invente des aménagements de différents niveaux, avec des différences selon les métiers et les usages quotidiens. Les prestataires proposent une organisation qui mêle des « quartiers », des grands plateaux et des espaces dédiés. On perçoit en traversant un établissement aménagé ainsi que l’on passe d’un service à un autre ; quelque part, le flex met des frontières, ce qui est rarement le cas dans les bureaux conventionnels. Par ailleurs, sa mise en place permet aux salariés d’avoir un peu la main sur le confort visuel, la décoration, et quelques ameublements qu’ils peuvent choisir. C’est périphérique à leur travail et à leurs responsabilités, mais ce n’est pas neutre non plus. En somme, il s’agit de mettre un peu de chair collective au bureau ; les ensembles conventionnels, individuels, sont personnalisés… individuellement. Le flex permet lui une certaine appropriation collective, au risque cependant de faire croire qu’un changement d’ambiance suffit à créer un esprit d’équipe. Chaque quartier rassemble un service, montre comment il travaille. Le flex-office est sensé créer du sentiment d’appartenance que le télétravail tend à diluer.
Quelle que soit la qualité des analyses, le sujet est trop complexe pour se passer d’une phase expérimentale[2]. Le flex-office doit être réversible et le projet lui-même… flexible. Après-tout, le télétravail l’est ! Mais le flex est un pari que le télétravail fonctionne sur le long terme, et installe des nouveaux usages. C’est aussi un risque parce que le télétravail nécessite que chacun soit au bureau un peu au même moment : on privilégiera les rencontres par équipe, mais cela demande une forte coordination entre services. Par exemple, la RH n’a pas 20 places pour elle, ni la direction financière 30, mais les deux en ont 50 à se partager, ce qui demande une coordination complexe ! L’idée de fond est de réduire les coûts fixes, certes, et ce n’est jamais présenté comme tel. Si le flex-office fait l’objet de tant de critiques, c’est qu’il est presque toujours mis en place dans un souci de diminution des coûts immobiliers, puisque le nombre de places proposées est inférieur (voire très inférieur) au nombre de salariés concernés. Instauré à l’origine pour les populations nomades, il touche aujourd’hui toutes les fonctions, y compris les fonctions supports pour lesquelles il n’est pourtant pas adapté. Cela ne doit pas masquer l’opportunité de réfléchir collectivement à « comment travaillons-nous ensemble », « pourquoi venons-nous au travail », car venir au travail ne va plus de soi. Il y a bien évidemment des effets pervers, comme celui de s’appuyer sur du télétravail subi (« si tu n’es pas bien ici, tu n’as qu’à rester chez toi »). L’entreprise se repose sur le domicile en matière d’aménagement de bureau. En renvoyant les gens chez eux, on accroît les inégalités sociales. Peut-être y a-t-il matière à développer les tiers lieux dans le quartier de domicile. Mais si on ne peut pas s’opposer à un projet de flex, il faut y participer en pesant dans l’intérêt des salariés. Il s’agit plutôt de créer les conditions d’un équilibre entre autonomie et collectif, entre l’isolement au calme chez soi et le fait de venir au bureau pour échanger avec les autres.
[1] ANI du 26 novembre 2020.
[2] Voir Jérôme Chemin, « Penser la flexibilité des espaces de travail », Cadres n°482, oct. 2019.