Manager les nouvelles générations
Les organisations ont tout à gagner à recruter de jeunes salariés. En effet, l’âge moyen dans l’entreprise et la fonction publique est souvent proche de cinquante ans. La diversité est un enjeu et une richesse pour les équipes, une source de créativité, d’énergie et d’innovation.
On parle ici des moins de trente ans : une génération qu’on appelle parfois millenials42 ou Y - « why » parce qu’elle ne se contenterait pas de la réponse « c’est comme ça ! ». Son insertion est souvent difficile, leur taux de chômage reste un des plus élevés d’Europe43. Réticence à recruter des jeunes, un manque d’expérience leur est opposé, alors même qu’ils ont très souvent une expérience professionnelle, via des stages en particulier. Pour eux, le diplôme est une valeur immédiatement transformable en emploi. Mais le recrutement se fait aussi sur la base de qualités personnelles et subjectives auxquelles s’ajoute une autre tendance (surtout en période de crise) consistant à recruter des personnes surqualifiées, jugées efficaces plus rapidement. Ce qui amène au déclassement probatoire avec le risque d’être démotivé très rapidement après avoir fait le tour du poste de travail44. Leur premier emploi reste un tremplin, un passage nécessaire pour valider les acquis.
Pour tous, c’est une évidence : le monde du travail a changé et le parcours est devenu individuel. Si l’entreprise demande toujours de la fidélité et de la loyauté, plus d’adaptabilité et de disponibilité, elle ne respecte plus toujours sa part du contrat. Les nouvelles générations se sont adaptées au nouveau contexte, ayant intégré que leur métier changera et que leur vie professionnelle comportera des changements d’entreprise. La crise amène aussi les salariés, notamment les jeunes, à se poser différemment la question de leur rapport au travail. Le travail n’est pas tout. Ils veulent des règles claires et un contrat explicite entre eux et leur employeur, confortés par les difficultés d’insertion, le ressenti de méfiance et de vulnérabilité face aux exigences des entreprises, jugées parfois démesurées.
Bousculer les stéréotypes
Les nouvelles générations seraient individualistes, attachées à leur vie personnelle, moins à l’entreprise et toujours prêtes à la mobilité pour assurer leur avenir professionnel. Si leur engagement est fortement lié à la reconnaissance attendue (tant sous la forme financière qu’en perspectives d’évolution), il en est de même pour l’ensemble des salariés. Leur demande d’équilibre ne doit pas être vue comme un manque d’implication. Enfin, s’ils remettent en cause parfois ce que leurs aînés ont accepté, c’est plus par volonté de comprendre et d’équité. De fait, ils sont rarement les seuls à le penser, même s’ils sont parfois les seuls à l’exprimer. Concernant l’autorité, il faut savoir qu’elle sera interrogée plutôt que mise en cause par les plus jeunes, comme pour tout nouvel arrivant. L’autorité ne tombe pas du ciel mais est reconnue par l’expertise et l’exemplarité.
Si vous êtes un jeune manager et que bon nombre de vos collaborateurs sont plus âgés, il vous faudra affirmer vos compétences tout en restant à l’écoute.
Ces stéréotypes sont souvent à bousculer. La réalité est parfois différente. Chaque être humain, comme l’entreprise, est unique, et lié aussi à d’autres éléments (reconnaissance, rémunération, statut, sens du travail, charge de travail et équilibre de vie...). La manière dont le collectif se comportera est ainsi essentielle.
L’insertion dans le monde du travail est un moment clé qui repose pour beaucoup sur le manager et sur la dynamique qu’il impulse dans son équipe sur une prise en compte de cette dimension spécifique. L’intégration est réussie lorsque les jeunes sont pleinement acceptés par le collectif, dans leur rôle et dans leur personnalité, lorsqu’ils savent se repérer dans l’entreprise et qu’ils sont opérationnels dans leur travail.
Réussir l’intégration
Le nouvel arrivant attend de son manager :
- L’indispensable présentation aux collègues : le traditionnel tour des bureaux ;
- Le suivi, qui peut aller du conseil opérationnel au soutien quotidien, voire parfois une demande de soutien psychologique ;
- Une explication de leur poste (au-delà des mots utilisés lors du recrutement), ainsi qu’un bilan régulier de leur activité leur permettant d’être évalués et de juger de leurs savoirs.
Il importe de réussir à consacrer du temps (ce qui est le plus difficile45) et de l’écoute à la bonne intégration du nouvel arrivant. C’est un moment délicat (surtout si les ressources humaines sont peu présentes) : il s’agit de faire comprendre les règles et contraintes du service dont vous êtes garant, l’intérêt de l’équipe et de l’entreprise (et pas seulement individuel). Cet aspect des choses est un élément crucial pour une intégration réussie. Il faut être prêt à expliquer le pourquoi et le bien-fondé de certaines règles, créées à partir de l’expérience et non pour les ennuyer.
C’est à vous (et ce quel que soit votre son âge) de clarifier les règles du jeu et d’expliciter le « donnant-donnant », de clarifier le poste et ses attendus, de montrer la cohérence et la solidité des missions, de faire comprendre le sens de l’action et sa direction.
L’intégration d'un collègue qu'il soit jeune, vieux, en situation de handicap, de retour dans l'emploi, sur une fonction particulière... Est toujours sous-évaluée, on s'attend à ce que le nouveau soit opérationnel et comprenne les us et coutumes qui sont devenus inconscients pour des salariés plus anciens. Les résultats de notre sondage (voir en fin de guide) donnent des résultats édifiants. En 2018 seuls 28 % des managers (un quart dans le public) estiment leurs marges de manœuvre satisfaisante pour recruter ou pour intégrer les nouveaux arrivants (ils étaient 42 % en 2014)
Une fois l’intégration réussie, la manière de manager les jeunes n’est pas foncièrement différente de ce qu’il convient de faire à l’égard de tous les salariés. Un comportement exemplaire est seul susceptible de créer de la confiance là où il peut y avoir une distance défiante vis-à-vis de l’entreprise. Il faut donc être aussi juste et transparent que possible, être la personne de confiance. À vous de favoriser des relations équilibrées, de garantir une organisation du travail qui rende possible la conciliation avec la vie personnelle, la cohérence de l’équipe, dans le respect des objectifs. Cela va de pair aussi avec des moments conviviaux et de partage.
Favoriser les diversités
La diversité est un atout professionnel. Or, les discriminations à l’embauche demeurent très fortes. En France, près de quatre fois sur cinq, l’employeur préfère embaucher un candidat « d’origine hexagonale ancienne » plutôt qu’un autre « d’origine maghrébine » ou « noire africaine » d’après une enquête du Bureau international du travail46. Les discriminations « se manifestent sous une forme assez sournoise de discrimination » quand le candidat discriminé est mis en attente alors que le candidat au nom à « consonance française » reçoit une proposition d’entretien. N'oubliez pas que les pratiques de discriminations sont des délits passibles de lourdes sanctions pénales.
Respecter et promouvoir l’égalité des chances, sur la base des compétences, sans distinction aucune, notamment de sexe, d’âge, d’orientations politiques, sexuelles, religieuses, de caractéristiques physiques ou d’origine ethnique, est un facteur d’enrichissement collectif, de cohésion sociale et d’efficacité économique pour les entreprises. La réponse n’est pas simplement mécanique ou mathématique, mais culturelle. Il faut faire évoluer les mentalités pour intégrer des profils différents. Les profils différents sont source de créativité et d’innovation. C'est l'occasion de rappeler les fondements de la république : liberté de conscience, égalité, laïcité, non-discrimination... Le manager est en effet en première ligne pour aider à ce que le travail soit un creuset intégrateur de la République.
Quelles sont les conditions de réussite de la diversité ?
- Le soutien de la direction générale avec des engagements forts,
- Votre propre mobilisation sur ces enjeux,
- La sensibilisation de votre équipe, notamment au moment de l’intégration, et en en discutant collectivement,
- La discussion avec ses pairs des pratiques pour éviter de discriminer.
Favoriser le travail des seniors
La part des seniors de plus de cinquante-cinq ans parmi les actifs est en augmentation constante. Il y a cependant un écart entre le consensus apparent sur la nécessité de travailler plus longtemps et la réalité des envies (des plus âgés et des entreprises). Les quinquagénaires sont très nombreux à demander à partir (parfois malgré eux quand les conditions sont devenues trop dures) et les entreprises préfèrent recruter des salariés plus jeunes qui leur coûtent moins cher et financer le départ des plus anciens. Tout se passe comme si l’évolution de carrière ne concernait plus les salariés après quarante-cinq ans, alors même qu’il peut leur rester de longues années d’activité et que retrouver un travail est difficile47.
Aujourd’hui, avec l’augmentation de la durée de cotisation pour la retraite, vous avez à gérer des salariés plus âgés. Il faut anticiper leur départ en retraite pour réfléchir quelles sont les transmissions de connaissances à prévoir, quel remplacement (on peut en profiter pour faire évoluer le poste). Avec une difficulté supplémentaire, connaître avec précision et anticiper le moment réel du départ. En effet, beaucoup de salariés prolongent d’un trimestre à plusieurs années leur départ, et en même temps ils sont capables de partir presque du jour au lendemain si à leurs yeux les conditions ne sont plus réunies. Il faut arriver à les motiver sans pour autant pouvoir toujours leur proposer une augmentation. Cela oblige aussi à travailler collectivement sur l’organisation du travail. Le temps partiel, prévu dans différents accords négociés, et favorisé par l’élargissement de la retraite progressive, peut être une solution utile et attendue. Pour les seniors, leur perception de leurs conditions de travail (incluant le travail lui-même) est un élément essentiel.
Favoriser l’égalité femmes-hommes et la lutte contre le sexisme et les violences sexuelles
Garantir l’égalité c’est s’attaquer au sexisme. Le sexisme est une idéologie (préjugés, clichés, représentations) basée sur des idées préconçues, qui réduit et généralise arbitrairement ce « que sont et ne sont pas les Femmes et les Hommes » (les filles et les garçons). C’est le principal obstacle à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et qui a eu/a pour conséquence la domination historique des hommes sur les femmes.
Les stéréotypes sexistes sont à la fois le résultat et la cause d’attitudes, valeurs, normes et préjugés profondément enracinés. Ils induisent consciemment ou inconsciemment les comportements sexistes.
Les manifestations du sexisme sont très diverses et ne sont pas toutes punies par la loi : des formes à l’apparence anodines (stéréotypes, « blagues », remarques) jusqu’aux plus graves (discriminations, violences, meurtre) mais vous devez être vigilant et donner l’exemple.
Les remarques sexistes sont des propos dégradants dirigés contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe et qui ont pour objet, (parfois avec l’intention d’être drôles), ou conséquence de les rabaisser ou de les dénigrer – Elles sont donc à bannir. À vous en face à face d’exprimer votre mécontentement et interdiction. Il peut être nécessaire aussi d’en parler collectivement. Il faut former (vous former), sensibiliser et montrer l’exemple : aucune tolérance face au sexisme et des sanctions sévères du harcèlement ou de la violence.
En effet très rapidement les remarques sexistes peuvent être des agissements sexistes au travail ou interprétées comme tel et porter atteinte à la dignité ou créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant (Art. L. 1142-2-1 du code du travail).
Beaucoup de harceleurs vont vous dire "si on ne peut plus séduire ! C’était de la drague un peu lourde… " Alors Séduction ou harcèlement ? Cette question renvoie au consentement : la séduction suppose de la réciprocité et un accord manifeste. Le harcèlement sexuel suppose l’absence de consentement. Lorsqu’une personne entre dans le jeu de la séduction les signes sont évidents, l’inverse aussi, il ne peut y avoir confusion. Dans la séduction celui ou celle qui cherche à séduire sera rebuté sans la participation de l’autre. Le harceleur ou l’agresseur poursuivra au-delà de la gêne, du malaise ou du refus plus ou moins explicite. Ce qui l’intéresse c’est la domination qu’il ou elle exerce.
La poursuite d’actions de sensibilisation visant à lutter contre les stéréotypes est importante pour éviter les stigmatisations et les discriminations en particulier au moment d’un départ ou d’un retour de congé maternité, et d’une façon plus générale dans le déroulement de la carrière professionnelle. (Vous pouvez également être dans cette situation. Vous ne devez pas être pénalisé et vous devez pouvoir bénéficier des dispositifs de conciliation des temps). Ces actions de sensibilisation vous aideront lors de la conduite des entretiens liés à la conciliation des temps, ceux de retour de congés maternité ou pour vos propres entretiens. Au-delà d’une lutte contre les discriminations directes (en termes de recrutement, salaire, promotion), pénalement répréhensibles52, les femmes sont souvent victimes de discriminations indirectes.
À noter la future concertation relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique.
Favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap
L’insertion ou le maintien dans l’emploi de travailleurs handicapés est aussi un axe essentiel de la diversité au sein des entreprises et répond par ailleurs à une obligation légale54. Le manager a un rôle central dans la bonne intégration des salariés en situation de handicap au sein de son équipe (et plus largement dans l’entreprise) que ce soit à la suite d’un recrutement ou suite à la reconnaissance du handicap d’un collaborateur déjà présent. L’intégration est au cœur du maintien dans l’activité du travailleur handicapé.
Vous serez ainsi le garant d’une bonne qualité de vie au travail de votre collaborateur concerné, du point de vue des aspects matériels (agencement du poste de travail, si nécessaire), et de l’adaptation de l’activité elle-même (horaires, pauses, télétravail, temps partiel, etc.), voire si besoin la réorganisation certaines tâches mais aussi dans l’intégration dans son collectif de travail. Les problèmes de productivité doivent être discutés avec l’ensemble de vos collaborateurs, dans votre service et avec votre direction.
N’oubliez pas également que le handicap n’est pas toujours visible (c’est souvent le cas) ou peut-être peu connu. Par conséquent, une certaine incompréhension, voire de la jalousie peut survenir dans le cadre d’un aménagement spécifique (temps de travail ou d’objectifs par exemple) des collègues, principalement par méconnaissance ; d’où la nécessité d’informer de la part du manager. Mais vous ne pourrez l’évoquer qu’avec l’aval du salarié handicapé. En effet les questions sur le handicap, sa nature et son origine sont interdites. Il ou elle peut également avoir peur des réactions – il faut qu’il tire plus de bénéfices que d’ennuis de s’exposer. Car des stéréotypes visent également les travailleurs handicapés, les accusant d'être moins productifs que les valides. Il est du devoir du manager de parler de ce sujet avec son équipe, voire de s'appuyer sur la formation. En plus de devoir endurer les difficultés liées à son handicap, il ne faudrait pas que le travailleur handicapé ait à affronter un environnement hostile au travail ou se retrouve isolé du fait de son handicap ! Ce serait, en quelque sorte, la double peine. Un entourage professionnel informé et réceptif constitue déjà un grand pas vers l’intégration.
Enfin, comme pour tout autre collaborateur, vous devrez veiller au parcours professionnel. Un salarié en situation de handicap est en droit d’évoluer, d’être promu, notamment par un accès (parfois adapté) à la formation. Il est d’ailleurs possible de prévoir un accompagnement personnalisé pour aider un travailleur handicapé à construire son parcours professionnel (le conseil en évolution professionnelle pour un travailleur en situation d’handicap se fait à Cap Emploi). Si vous-même êtes un manager en situation de handicap, vous aurez certainement à expliquer à votre équipe, en quoi consiste votre handicap et besoin du soutien de votre propre manager. Vous pourrez aussi apporter beaucoup à vos pairs.
42 : Il n’existe pas de définition exacte et partagée par tous : Millennial – aussi appelé « Génération Y » – est le nom donné à toutes personnes nées entre 1980 et 2000 environ.
43 : Baromètre APEC jeunes diplomé.es 2018 & Marché de l’emploi cadre ; enjeux et perspectives pour 2018, le recrutement des jeunes diplômés.
44 : Le déclassement touche 10 à 15 % des jeunes diplômés. Cf. Philippe Lemistre, Déclassement et chômage : une dégradation pour les plus diplômés ?, Net. Doc n° 123, 2014. On parle de déclassement probatoire, car de fait il agit comme une période de probation, les jeunes finissant par être reconnus. Avec la crise actuelle, ce déclassement peut passer de probatoire à permanent.
45 : Cf. Apec, L’Intégration des jeunes diplômés sur le marché de l’emploi, mai 2014.
46 : BIT, Les Discriminations à raison de « l’origine » dans les embauches en France, 2007
47 : Cf. Apec, Les Cadres seniors plus touchés par le chômage, oct.2013.
52 : L’inégalité de traitement fondée sur le sexe (embauche, promotion…) est interdite, la peine prévue allant de 3 à 10 ans d’emprisonnement et 45 000 à 75 000 euros d’amende.) - Art. 225-1 du Code pénal, Art. L. 1132-1 et L. 1142-1 du Code du travail). Ainsi, il est interdit de ne pas recruter ou promouvoir une femme en raison de sa grossesse.
54 : Le quota d’obligation d’emploi est de 6 % depuis 1991.