L’écart des salaires entre les hommes et les femmes, toujours très sensible, semble stable depuis quelques années, comme bloqué par un obstacle invisible. S’il avait régulièrement diminué depuis les années 70 et les premières lois sur l’égalité professionnelle, il stagne depuis les années 2000 voire régresse dans certains secteurs.

Des inégalités persistantes

Dans une approche globale, on compare souvent les salaires mensuels observés et on s’accorde sur une différence de l’ordre de 25% entre les rémunérations des hommes et des femmes. Mais cette approche ne tient pas compte des secteurs d’emploi différenciés, des postes occupés et de la durée du travail. Près de 30% des femmes travaillent à temps partiel pour à peine 5% des hommes. Les femmes accèdent encore difficilement aux postes de responsabilité surtout lorsqu’il s’agit des plus rémunérateurs. Enfin, le rapport Guégot sur la situation de la fonction publique dans ce domaine montre que les inégalités, surtout dans la haute fonction publique, sont aussi importantes que dans le secteur privé.

Pas de surprise donc, les postes occupés par les femmes étant moins qualifiés, il est « normal » que leur salaire soit moindre. Evidemment il est également normal de gagner moins quand on travaille à temps partiel. La démonstration pourrait s’arrêter là et satisfaire ceux qui considèrent ce débat accessoire. N’en déplaise à ces derniers, l’explication n’est pas si simple. Les travaux des chercheurs (par exemple ceux de Dominique Meurs et Sophie Pontieux) montrent que si l’on neutralise toutes ces différences (nature des emplois, postes occupés, temps de travail) pour ne comparer que des cohortes d’hommes et de femmes à travail équivalent, alors l’écart est certes moindre mais demeure. Il est de l’ordre de 5% à 7% et cet écart « ajusté », toujours défavorable aux femmes, est lui aussi stable depuis des décennies malgré les mesures prises en faveur de l’égalité professionnelle.

Des inégalités qui s’expliquent, mais restent injustes

Les lois et les accords « égalité professionnelle » qui s’appliquent en entreprises visent essentiellement à corriger ce dernier écart évoqué ; ce sont d’abord à ces inégalités à postes et travail équivalents, plus facilement observables, que s’attaquent les partenaires sociaux. A supposer que les accords d’entreprise, normalement obligatoires, portent leurs fruits, cet écart de 5 à 7% tendrait à disparaître, mais celui qui résulte des situations et des carrières professionnelles différenciées, écart de l’ordre de 18%, pourrait encore perdurer longtemps.

On pourrait considérer que « toutes choses égales par ailleurs », il n’y aurait plus de discrimination observable mais pour autant les femmes auront globalement toujours nettement moins de revenus et donc des retraites également nettement plus faibles. Pour reprendre les propos de Dominique Meurs (Alternatives Economiques, hors série N°51- sept 2011) : « une inégalité est-elle acceptable parce qu’elle est explicable ? ».

Les normes sociales en cause

Les différences de secteurs professionnels, de nature d’emplois, de niveaux de responsabilités qui entraînent les 18% « explicables », relèvent autant de normes sociales, de représentation des rôles dans la sphère privée, de prise en charge de la parentalité que de choix personnels ou de discrimination directe dans le travail. C’est aussi sur ce terrain que devraient aujourd’hui se porter les actions tant dans les choix de politiques publiques que dans les négociations d’entreprise. Le maintien dans l’emploi ou l’ascension professionnelle des femmes est clairement impacté par l’arrivée des enfants quand cet événement au contraire favorise la carrière des pères. La parentalité a des effets opposés selon le genre : pourquoi ?

Particulièrement pour les postes à responsabilités, l’employeur attend des cadres qu’ils soient disponibles à toute heure, pleinement investis dans leur job sans « perturbation » extérieure qui pourrait être liée à la vie privée. Même si les femmes ont largement fait leurs preuves dans le monde du travail, il est socialement admis qu’elles peuvent être moins investies un temps dans la sphère professionnelle, le temps des maternités, mais évidemment et c’est normal au prix de carrières plus « lentes ». C’est dans ces comportements socialement admis par tous que se construisent les discriminations les plus criantes. Comment rompre efficacement avec cet ordre établi ?

Dominique Meurs l’affirme : « dénouer l’équivalence entre soins et tâches incombant aux femmes apparait comme la principale voie de réduction des inégalités sur le marché du travail entre les hommes et les femmes ».

Il y a un déséquilibre évident et accepté entre les hommes et les femmes sur l’investissement qu’ils ou elles déploient et les responsabilités qu’ils ou elles prennent dans le travail ou dans la vie privée : chacun son rôle ! Nous ne reviendrons pas sur les chiffres énoncés de façon récurrente sur le partage inégal des tâches domestiques. Ils évoluent lentement.

Attachons nous plutôt au temps consacré aux enfants. Tout le monde se réjouit de la bonne démographie de la France mais cette réussite pèse encore presqu’exclusivement sur les femmes et sur la carrière des femmes. Il faut du temps pour faire grandir un enfant ; ce ne sont pas les quelques jours de congé paternité ou un congé parental faiblement rémunéré qui vont inciter les pères à sortir des « normes » et prendre ainsi un risque professionnel dont ils ont bien conscience.

Un congé de paternité de deux mois

Il faut dans ce domaine une vraie rupture qui modifie les comportements traditionnels de rôle des uns et des autres. La CFDT Cadres propose un congé paternité d’une durée à peu près équivalente à celle du congé de la mère pour marquer l’égalité d’engagement dans l’éducation de l’enfant. Une telle décision relève des politiques publiques. Elle a un coût, certes. Mais qui mesure le coût du « gaspillage » des compétences non utilisées des femmes, compétences qui pourraient d’ailleurs faire défaut bientôt dans certains secteurs professionnels ? Brigitte Grésy, dans le rapport « La participation des hommes dans les tâches parentales », remis le 7 juin dernier à la ministre propose une mesure qui va dans ce sens.

Donner de la visibilité à l’égalité entre père et mère au moment de la naissance modifierait sans nul doute les représentations dans le travail (un jeune, homme ou femme sera susceptible de s’absenter quelques mois pour son enfant) et dans la vie privée où le temps consacré à l’enfant sera alors mieux partagé pour le bien être de tous.

Le congé paternité de deux mois est une mesure simple, visible et de nature à favoriser cette rupture dans les comportements, dans les représentations. La mettre en oeuvre exige une volonté politique. Cette décision nous rapprocherait des modes de fonctionnement de nombre de pays européens.

Plutôt qu’une nième loi sur l’égalité professionnelle, osons innover. A moyen terme, c’est une voie pour améliorer l’égalité salariale évoquée par tous les programmes politiques.