Longtemps la dimension sociale de l’Europe a pu décevoir parce que l’intégration européenne est d’abord fondée sur la dynamique des échanges économiques. Le travail, l’emploi et la protection sociale sont en effet des domaines qui relèvent de la compétence des Etats. Le paradoxe se renforce avec le décalage entre le haut niveau social du modèle européen, et la réalité sociale dans les pays de l’Union européenne (UE) en matière d’inégalités de chances et de répartition des richesses produites, ce sans compter la très grande diversité des situations entre 27 pays.

Pendant les trois premières décennies de l’Union européenne, les seules mesures sociales adoptées l’étaient par la voie de directives européennes. Sans doute faut-il attendre les années 1980 et l’émergence d’un dialogue social pour que la politique sociale européenne s’étoffe concrètement. Depuis, le droit européen prend sa place dans la hiérarchie des normes sociales, notamment la limite de la durée du travail hebdomadaire, le minimum légal pour travailler, des mesures contraignantes en matière de santé et sécurité industrielle, ou encore la carte d’assurance maladie européenne. D’autres progrès se mesurent par leur portée politique. En 2017, à Göteborg en Suède, les dirigeants européens adoptent le « socle européen des droits sociaux » qui fixe un cadre et des objectifs en matière sociale et qui a inspiré plusieurs initiatives, par exemple la directive sur l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Parallèlement, l’Europe sociale se construit sur la base d’avancées nationales. Par exemple en France avec le devoir de vigilance des entreprises qui fait désormais figure de référence au sein de l’Union européenne.

L’Europe sociale, c’est aussi un cap donné pour équilibrer l’intégration économique : socle européen des droits sociaux, objectifs liés à l’emploi, à la formation et à la lutte contre la pauvreté. L’Union s’appuie sur le Fonds social européen de 88 milliards d’euros pour 2021-2027, et sa puissance financière permet également le dispositif facilitant le recours au chômage partiel (dispositif SURE de 100 milliards d’euros) lors de la crise sanitaire.

Ainsi la CFDT et les autres partenaires sociaux puisent-ils à cette échelle, différemment selon leurs convictions, une dynamique d’action, de réflexion et de revendication. A l’heure où l’on parle tous les jours de télétravail, se souvient-on de l’accord européen en 2002 sur le sujet ?... Certes non contraignant, il permettait cependant d’anticiper les conséquences de la mutation numérique de l’activité. L’Union européenne se distingue des autres parties du monde par un modèle social plus avantageux que pour les travailleurs d’autres pays. Elle doit maintenir cette avance et harmoniser par le haut. Par ailleurs, elle s’est enfin investie grâce à l’euro dans des politiques budgétaires ambitieuses avec le « plan de relance ».

Aujourd’hui l’enjeu est de peser sur la présidence française au premier semestre 2022 et au-delà d’affirmer le rôle politique de la société civile, notamment la Confédération européenne des syndicats (CES)[1] que préside Laurent Berger depuis mai 2019. La « conférence pour l’avenir de l’Europe » en est un élément très intéressant[2]. La CFDT Cadres est investie à son niveau avec un fort engagement au sein du Comité économique et social européen, au sein des comités d’entreprise européens et par la voie d’Eurocadres. Dans une économie qui redessine les frontières de l’emploi et du travail, les militants pensent hors les murs traditionnels, écrivions-nous dans le précédent numéro de la revue consacré à l’Europe[3]. Face aux scepticismes quant à la dynamique européenne et en responsabilité au regard des enjeux sociaux, ces engagements militants sont des jalons concrets dans un monde plutôt incertain.

[1] www.etuc.org/fr/node/20409

[2] www.syndicalismehebdo.fr/article/a-nous-citoyens-et-militants-de-dire-leurope-que-nous-voulons

[3] www.larevuecadres.fr/numeros/unions-sans-frontiere/6450