Lorsque les suicides au travail sont entrés dans l’espace public il y a quinze ans, la CFDT Cadres alertait que ces gestes individuels étaient aussi des faits sociaux, afin d’en interroger les causes[1]. Notre conviction, minoritaire à l’époque, était d’explorer les conditions d’une prévention primaire, en travaillant avec prudence sur la mesure et les déterminants de l’épuisement professionnel : le travail n’est ni la cause objective et unique, ni l’horizon directeur des pathologies sociales.

Philippe Zawieja, chercheur associé dans différentes universités européennes, a fait sa thèse en sciences et génie des activités à risques, croisant la gestion et la psychosociologie. Son approche et le condensé d’un Que sais-je sont donc particulièrement intéressants. Le sujet n’est pas nouveau car l’intérêt de ce mot-valise est qu’il finit par désigner toutes les formes de souffrance au travail, approfondissant la question du stress de la performante tertiarisation des années 1980. Car l’ambiguïté persiste par la diversité des modèles cliniques, par la difficulté de définir le mal entre « maladie professionnelle » et quasi-maladie, sa description étant à la croisée des sciences sociales et de l’analyse des risques industriels, à la rencontre de déterminants intimes, individuels, managériaux, organisationnels, sociétaux, contextuels... Globalement tenu à un seuil qui semble incompressible d’un salarié sur dix, le risque prend une ampleur inquiétante dans certaines activités exposées, dans des situations délicates, notamment dans le travail de soin qui est le domaine où l’on a sans doute le plus interrogé le sens et la pénibilité.

Complexe, l’épuisement professionnel est fait de pas moins d’une centaine de symptômes, de l’hyperactivité au désengagement, de la détresse psychologique aux blocages cognitifs, de l’indifférence à la vie sociale aux dérèglements psychosomatiques. En somme, « Un état d’esprit durable, négatif et lié au travail […], d’abord marqué par l’épuisement, accompagné d’anxiété […], d’une chute de la motivation… », selon la définition la plus consensuelle, retenue par l’INRS[2], et selon les travaux des américains Christina Maslach et Michaël P. Leiter dont l’ouvrage traduit depuis 2008 The Truth about burnout : how organizations cause personal stress and what to do about it s’écarte des approches contenues à la sphère individuelle. Il y a donc des liens à créer mais aussi à défaire avec la fatigue, la dépression, l’ennui (bore out). La description des modèles d’analyses et de mesure proposée par P. Zawieja permet de s’y repérer, le burn out étant la résultante d’une exposition à un stress professionnel chronique aux causes multiples et subjectives.

Le lecteur approche ainsi la clinique de l’activité, les typologies de la souffrance, les célèbres modèles de Karasek et de Siegrist qui, fondant la politique de santé au travail, explorent les interactions entre les exigences nécessaires et l’autonomie réelle de chacun : le burn out apparaît quand les ressources manquent, que les appuis s’estompent, que la charge de travail est profondément et durablement déséquilibrée. Un ouvrage condensé, exigeant de s’écarter des désignations simplistes que de nombreux acteurs dans le monde professionnel, syndical, voire politique, exploitent encore.

[1]-Le travail malade du stress, Cadres n°428, mars 2008.

[2]-Voir le dossier www.inrs.fr/risques/epuisement-burnout/ce-qu-il-faut-retenir