En à peine 96 pages, voici un petit livre qui devrait faire grand bruit. Aux images convenues d’une société française globalement homogène, dont seuls quelques centaines de quartiers à problèmes viendraient déchirer le territoire, Eric Maurin substitue en effet des analyses aussi novatrices qu’inquiétantes. Le sous-titre de son ouvrage en donne la substance : plutôt que de parler le langage de la ségrégation, modèle imaginaire de toutes les politiques de la ville qui se sont succédées depuis une vingtaine d’années, il parle de séparatisme. En d’autres termes, la société française telle qu’elle se dessine dans ces pages est profondément marquée par des conduites d’évitement, de recherche de l’entre-soi qui touchent absolument toutes les catégories et aboutit à faire de la République une mosaïque de territoires, de poches de population socialement homogènes, regroupées sur des secteurs dont les limites invisibles découpent l’espace français.

La mixité sociale est chez nous en recul : cette affirmation, Eric Maurin ne la tire pas d’une simple intuition du monde, encore moins d’a priori idéologiques, mais de chiffres implacables. Et si l’on sait bien qu’il est facile de leur faire dire n’importe quoi, qu’il soit permis à un lecteur fréquemment agacé par la légèreté avec laquelle nombre d’auteurs usent des statistiques d’applaudir à la rigueur avec laquelle elles sont ici utilisées. La démonstration est implacable, et si le constat n’était malheureusement aussi sévère, on se réjouirait d’une telle netteté intellectuelle.

Il est sévère, car chacun se reconnaîtra sans peine dans les modèles de regroupement sociologique mis en évidence. On connaissait de longue date les stratégies des parents d’élèves pour détourner les effets de la carte scolaire, mais ce qui apparaît ici, et participe d’une logique identique, n’est pas tant une tendance commune à s’élever qu’une aspiration largement partagée à se fuir.

Ce ne sont pas seulement les ouvriers qui fuient les chômeurs immigrés, mais les cadres supérieurs qui fuient les cadres moyens, les cadres moyens qui fuient les employés, et ainsi de suite ; jusqu’aux cadres du privé et à ceux du public, qui s’isolent dans des espaces différents…

Eric Maurin évite de recourir, dans ses analyses, à un individualisme méthodologique qui tenterait d’expliquer les faits par des stratégies personnelles. Il pose au contraire son constat sur un terrain avant tout politique, en relevant deux faits : l’échec éclatant des politiques de la ville jusqu’ici, faute d’un modèle d’explication adapté ; la gravité d’un morcellement qui est aussi, reproduction sociale aidant, un verrouillage des destins.