Cet ouvrage résulte d’un travail collectif effectué sous la direction de trois coordinateurs sociologues appartenant à des centres de recherches de la région Aix-Marseille, tournés vers le travail et l’emploi.

• C’est d’abord l’analyse de la crise du travail. Mais n’est-ce pas plutôt de la crise du salariat qu’il s’agit ? Henri Eckert retrace l’histoire du travail : à quelle époque peut-on situer son origine ? (« les mélanésiens des îles Trobriand travaillaient-ils ? »). Quelle est son évolution jusqu’à la construction d’une économie de marché, d’un marché du travail qui créé un nouveau rapport social et développe un salariat, mettant l’accent non plus vraiment sur le travail mais sur la dépendance de certains (prolétaires) par rapport à d’autres (détenteurs de capitaux et organisateurs de la division du travail) ?

Par ailleurs, P. Lantz (agrégé de philosophie et professeur de sociologie) s’interroge sur une crise de la culture du travail, sentiment très perceptible dans le salariat « top niveau » de ce siècle, nostalgique d’une société de plein emploi.

• Dans une seconde partie ce sont les différents « visages » de la crise qui sont analysés. A.M. Daune-Richard (sociologue) nous livre une étude approfondie des liens créés entre travail et citoyenneté au cours de l’histoire. « La révolution de 1789 (...) affirme la liberté et, en même temps, la nécessité, pour chacun, de travailler comme fondement du droit à l’existence ». Mais elle souligne aussi les différences inhérentes au sexe : « Jusqu’au milieu du XXème siècle les femmes françaises » ne votent pas et « leur espace d’action est strictement limité par leur statut familial de filles et d’épouses (code Napoléon) ». D’où le décalage encore existant entre hommes et femmes dans leur relation au monde du travail.

Roland Le Bris (économiste) examine, pour sa part, la « crise du concept d’emploi et le droit au travail ». Le plein emploi étant devenu illusoire, on s’attache à la notion d’employabilité, à ses caractéristiques. Il analyse en outre l’influence des pouvoirs politiques, de la politique de l’emploi, de la recherche d’une cohésion sociale. Enfin il expose la déstabilisation du statut de salarié, fragilisé, qui « est devenu une composante majeure de la crise actuelle ».

Quant à Philippe Zarifian (économiste et sociologue) il défend l’idée que « c’est le travail lui-même qui est menacé d’exclusion ». La santé financière passe avant la réalisation d'investissements productifs ou la création d'emplois. Il note que cette évolution a conduit à créer une sociologie de l’emploi au détriment de la sociologie du travail. Et cet « oubli du travail » permet d’instaurer ce qu’il appelle « la féodalisation des rapports sociaux », privilégiant la « négociation individualisée » du contrat par rapport aux garanties collectives.

• La troisième partie est consacrée à des réflexions sur l’état actuel de la société. P. Bouffartigue estime que ces chapitres « apportent plusieurs éclairages sur les relations entretenues entre la crise du travail salarié et celles qui ravagent le champ syndical et politique ».

C’est une interrogation sur les défis posés aux syndicats par un salariat éclaté, coincé entre exclusion/précarité et un espace de travail « avec statut » de plus en plus étriqué, c'est aussi un appel à une reconnaissance de nouvelles formes de professionnalité.

L’approche économique mais surtout sociologique qui est menée tout au long de cet ouvrage le rend éminemment intéressant. Son style et sa présentation en rendent la lecture aisée et passionnante. Mais c’est d’abord un plaidoyer appuyé pour la recherche d’un projet démocratique qui permette une participation de tous aux activités productives puisque, comme le rappelle Patrick Cingolani « dans la revendication du droit au travail se joue avant tout cette place symbolique : celle que pose l’égalité ».