L’élu « populiste » représente le bon peuple face aux autres qui en seraient les ennemis. La majorité qui le porte au pouvoir serait ce qui incarne véritablement le peuple dans la société. Dans cette logique, le sacre électoral vaut légitimité de tout comportement. Voilà une approche courte mais lisible de la démocratie, alors que celle-ci n’est pas, selon l’adage mendésiste, un régime mais un état d’esprit. La légitimité de Pierre Rosanvallon, en penseur de l’idée de démocratie, interpelle sur ce qui n’est pas une dérive autoritaire mais une forme dérivée, une lecture de l’idéal démocratique, soutenue dorénavant par de hauts dirigeants de démocraties, d’Etats autoritaires, ou irriguant l’espace jusqu’à la sur-gauche française. En somme, « un projet politique concernant une vision de la démocratie, de la société et de l’économie ». Car le mot, longtemps employé de façon négative, péjorative, ne se résume plus à la démagogie.

Le populisme est en effet une réponse politique (« une offre positive ») dans une démocratie aux corps intermédiaires affaiblis et n’adossant plus les peurs et indignations sociales à un système. Il faut admettre par exemple que le populisme apparaît comme une alternative au libéralisme, comme facteur portant les progrès d’un monde remis en cause par la crise de 2008. On ne peut plus se contenter de critiquer les populistes comme des « illibéraux » car « ils tentent d’approfondir les démocraties qui ne se portent pas bien », dans le sens où nos sociétés n’apportent pas suffisamment aux citoyens d’activité (manque de travail), de reconnaissance (course au pouvoir d’achat) et d’expression (sentiment d’être dépassé par les élites). Les populistes proposent donc « de polariser la démocratie, de la simplifier, avec des leaders qui incarnent la société, connaissent les problèmes des gens », saisissant la politique par l’émotion, entre peurs et grands espoirs.

C’est dans la compréhension et l’acceptation du caractère pérenne du populisme que l’on en saisit les limites, et donc la difficulté à complexifier la démocratie : « le peuple reste toujours à construire, à constituer ; c’est une collectivité à faire vivre, il n’est pas déjà là : la vision populiste qu’un peuple est là, cohérent, est une tromperie ». Le populisme est perçu comme une réponse à la difficulté intrinsèque de la démocratie à vivre entre deux moments électoraux, inventant un « peuple de papier ». L’heure est aussi à la défense de tout ce qui n’est pas élu et qui fait obstacle au pouvoir plébéien : la presse, l’autorité judiciaire, les organes de contrôle, les experts... Mais également à réinventer des mécanismes d’appuis à l’individu, tant nous sommes sortis du totalitarisme avec l’élection mais aussi avec l’invention de l’Etat-Providence dont le système de redistribution est questionné par les déséquilibres démographiques. Il faut donc mettre en place d’autres mécanismes de représentation, d’expression et de protection, car « le peuple, c’est chacun de nous qui a des droits ; ce n’est pas seulement l’élection d’une majorité, c’est aussi la capacité à représenter les particularités, et à faire vivre l’ensemble des institutions et des pouvoirs ». Un appel à une créativité stimulante pour ne pas laisser contenir par quelques talentueux sophistes - de Trump à Mélenchon - la liberté politique et le discernement de chacun.