Les technologies numériques de l’information et de la communication (TNIC) ont pénétré le travail et l’organisation de l’activité.

Une intensification de l’activité

Les TNIC sont des ressources plébiscitées par les salariés et notamment les cadres, car décuplant les capacités potentielles. Elles nécessitent cependant une utilisation personnelle et collective à la fois maîtrisée et discutée collectivement. Mal utilisées, les TNIC peuvent impacter les conditions de travail et les équilibres des temps et de vie et parfois se transformer en moyens de pression, voire d’isolement. Mails, Intranet, réseaux sociaux et bien d’autres sources d’informations nous inondent : on parle « d’infobésité ». Un cadre est interrompu en moyenne toutes les quatre minutes !31 Les jeunes générations (dites « digital native »), qui ont grandi à l’ère numérique, gèrent mieux ce phénomène de dispersion.

Tout n’est pas négatif, loin de là ! Les TNIC ont considérablement augmenté notre productivité. Il est extrêmement simple aujourd’hui d’organiser une réunion grâce à l’agenda électronique, de prendre des notes pendant une réunion. La contrepartie de ces gains d’efficacité est sans aucun doute l’intensification du travail, l’augmentation des contrôles (par les outils et le reporting) et des contraintes sur le temps (obligation d’hyper-disponibilité avec l’agenda partagé et la messagerie instantanée). La messagerie en est le meilleur exemple : le mail est un outil indispensable pour les cadres qui traitent en moyenne cent messages quotidiens et leur consacrent deux à trois heures par jour, mais qui participe largement au sentiment d’épuisement et de stress pour eux, comme pour beaucoup de salariés.

Travailler en amont sur la confiance et le droit à l’erreur évite aussi un certain nombre de mails « parapluies » (écrits uniquement pour se protéger, mettant parfois un nombre important de personnes en copie) et leurs dérives. Rappelons aussi qu’il existe d’autres outils de communication… Pensez toujours à la manière dont sont reçus vos mails dans votre responsabilité d’animation de l’équipe.

Quand une technologie n’est pas utile (ne répond pas aux besoins des usagers) ou pas utilisable (manque de convivialité ou simplicité) ou mal acceptée (contexte professionnel ou culturel), elle devient une charge et un risque pour la qualité du travail et la santé du salarié.

Ce n’est pas parce que l’usage des TNIC est plébiscité qu’il ne peut pas engendrer des difficultés, car l’utilisateur partage son temps et sa concentration entre une activité principale et des activités annexes. Ce qui, d’après les chercheurs, augmente la charge cognitive. Ils appellent cette multi-activité « le méta-travail ». Les TNIC ont transformé notre manière de travailler. Au lieu de prendre une tâche et de l’amener jusqu’au bout, on avance une multitude de tâches en parallèle en zappant de l’une à l’autre. Chacun de ces projets ayant des temporalités différentes. Cela peut affecter la santé et pose la question de notre efficacité au travail. Apparaît aujourd’hui le syndrome de débordement cognitif, le sentiment de ne plus pouvoir faire face et la peur d’oublier quelque chose (ce que les anglo-saxons appellent le « Fear Of Missing Out, FOMO »).

Une autre relation au temps et à l’espace

Dématérialisation et connexion permanente permettent une plus grande liberté, mais aussi sont sources potentielles de risques, tant pour les individus que pour les organisations.

Charge de travail, environnement de travail et technologies de communication interagissent aujourd’hui étroitement pour littéralement saturer l’univers du travail et effacer les limites temporelles et spatiales qui structurent traditionnellement la relation à l’entreprise et au collectif de travail. Ces nouveaux rapports aux temps et aux espaces de travail côtoient de plus en plus sans les faire disparaître les rapports traditionnels et conventionnels.

Tout semble cependant converger pour réduire au minimum les espaces et les moments propices aux bilans et aux mises en perspective, tant sur le plan individuel que collectif.

Ne cherchez pas à appliquer des méthodes toutes faites mais celles adaptées à votre organisation, au plus proche du terrain. Ainsi, si certaines entreprises/ administration empêchent l’envoi ou la réception de mails pendant les heures de repos, cette solution n’est pas toujours applicable et pourrait être contreproductive. En effet, si la charge de travail et la manière de travailler ne changent pas, il peut y avoir contournement. Les moyens de communication (même mis à disposition par l’entreprise), permettant d’être joignable facilement et en permanence, doivent constituer de simples outils dont le salarié conserve la maîtrise et son droit à la déconnexion numérique en dehors des périodes de travail. En conséquence n’envoyez pas de mails durant ses périodes de repos ou prenez en compte que chaque salarié aura le droit absolu de ne pas répondre. En effet devoir répondre à ses mails constitue bien un travail. Attendre de votre collaborateur qu’il obtempère à un message arrivé pendant son temps de repos est illégal.

Comment manager à distance ?

Un des apports des TNIC est d’avoir permis le développement du travail à distance : travail dispersé, travail nomade, télétravail, travail éclaté (comme dans le cas d’équipes multi-sites, notamment internationales, qui se rencontrent très peu). Ces outils ont également été complices ou facilitateurs de certains choix organisationnels pour casser les silos, forcer la coopération entre les différentes compétences réparties géographiquement, répondre aux réorganisations fréquentes du groupe sans déplacer les équipes et les compétences. Ils génèrent le développement de nouvelles pratiques de travail et d’autres professionnalismes comme la maîtrise des outils eux-mêmes, la capacité à l’autonomie ou la prise d’initiative…

Par rapport au management « standard », quelques éléments du management quotidien à distance :

  • La communication sera différente : essentiellement réalisée par mails et outils de communication instantanée, les réunions de travail se réalisent régulièrement par audio ou visioconférence et les entretiens se réalisent au téléphone ou dans un face à face par écrans interposés. Les outils numériques comme les réseaux sociaux peuvent mettre à mal le fonctionnement hiérarchique classique.
  • Les outils de reporting ou de contrôle renforcent le monitoring et la dispersion, obligeant à tout codifier et formaliser. On est davantage dans un modèle client / fournisseur. La confiance horizontale entre pairs et verticale dans la ligne hiérarchique est plus difficile, mais elle est pourtant centrale. C’est elle notamment qui fixera le niveau du reporting.
  • L’animation de l’équipe sera plus différente : les collaborateurs sont plus autonomes, mais il n’y a plus d’échanges informels alors que ceux-ci sont très importants dans le travail. La perception des dynamiques de vies personnelles peut interférer. Or, la coopération, le collectif, l’esprit d’équipe et la solidarité ont besoin de proximité physique et culturelle. Il y a un risque de baisse d’efficacité, de performance et de qualité, car l’éloignement physique induit une plus grande difficulté d’échange des informations techniques, opérationnelles et de réponses collectives.
  • Dans les équipes internationales, l’utilisation systématique de la langue anglaise entraîne souvent un manque de finesse, des risques d’approximation et donc une plus grande vulnérabilité…

Réussir le télétravail

Il ne s’agit pas de faire pénétrer l’entreprise ou l’administration et le travail immatériel dans la vie personnelle mais bien d’améliorer à la fois la performance et la qualité de vie, avec des conditions définies de façon sérieuse et approfondie, par la négociation, à partir d’expérimentations. Et en parlant organisation et charge de travail. Le travail à distance (télétravail) n’est pas une réponse à tout.

Il reste des freins de certaines directions au télétravail, liés à la confiance ou à la culture du présentéisme. Pourtant, les études montrent que le télétravailleur travaille davantage.

Nos propositions CFDT Cadres pour la réussite du télétravail :

  • Le télétravail doit être négocié et volontaire, le retour à une activité standard possible.
  • Le nombre de jours de télétravail doit être limité (un, deux ou trois jours par semaine).
  • Les réunions d’équipes doivent se faire avec les télétravailleurs et le télétravail doit être un objet de discussion.
  • La mise en place du télétravail peut être graduelle et progressive. Elle doit passer par une période d’expérimentation, de formation de toutes les parties prenantes. Elle doit faire l’objet de points réguliers et d’un bilan. Le télétravail nécessite de l’autonomie. Vous pouvez en profiter pour déléguer davantage.
  • Afficher les programmes de présence et absence du collaborateur télétravailleur, en temps réels et anticipés. Les règles générales de joignabilité et de repos doivent être claires et respectées (le télétravailleur peut être joint mais a droit à la déconnexion).
  • Le télétravailleur doit disposer d’outils fiables, innovants, bénéficier d’une maintenance robuste de ses outils, d’un support et pouvoir faire remonter les dysfonctionnements. Le télétravail doit être intégré dans la conception des nouvelles méthodes, procédures et outils.
  • Le télétravail nécessite de pouvoir créer de la proximité malgré la distance : des moments conviviaux et festifs, des contacts… Veillez en particulier à éviter le sentiment d’isolement. N’hésitez pas à appeler votre collaborateur (cet appel est différent d’un appel de contrôle du travail).

31 : Cf. l’étude Apec L’Impact des TIC sur le travail des cadres réalisée avec le groupe de recherche en psychologie sociale de l’université Lyon 2 sous la direction de Marc-Eric Bobillier-Chaumon.