Tandis que l’industrie française peine à recruter, les jeunes générations semblent prêtes à tout accepter – chômage, CDD au rabais… – plutôt que de travailler à l’usine. Dans le même temps, sur les rayons des librairies et les écrans de cinéma, le calvaire des cols blancs fait florès : burn-out, dépressions, suicides, il n’est question que du mal-être des cadres et des employés confinés dans les open spaces : balayés, les romans sur la souffrance ouvrière des années 1970 : la représentation du malheur au travail a migré de l’atelier au bureau. L’usine n’y gagne rien pour autant : naguère fustigée, elle est devenue invisible, évacuée du champ des représentations, sauf rares exceptions mettant en scène ces variantes d’une disparition annoncée que sont fermetures et délocalisations. Si les catégorisations auxquelles nous sommes accoutumés ont perdu de leur pertinence (manuel vs intellectuel, culture vs technique, voie générale vs voie professionnelle), peut-on voir dans cette crise les prémices du retour en grâce d’un secteur technique trop longtemps et injustement mal-aimé ?

 

En France, le travail manuel est dévalorisé – cela ne date pas d’hier ; cette dévalorisation constitue un problème. Au-delà du diagnostic, qui ne surprend personne tant on y est accoutumé, nul ne songe curieusement à s’étonner de l’emploi, hier comme aujourd’hui, de l’adjectif « manuel » – comme s’il allait de soi. Avec son antonyme, pour tous évident : « intellectuel ». Ainsi se répartissent les métiers, les uns « intellectuels » et les autres « manuels ». Mais d’où vient que les deux s’opposent dans nos catégories ? Plus surprenant encore, comment peut-on dès lors qualifier de « manuelle » une « intelligence » ? Enfin, à l’ère de l’automatisation, où s’interposent entre l’homme et la matière des machines à commandes numériques, des imprimantes 3D ou des robots, comment expliquer que l’on persiste à qualifier de « manuels » des métiers dont la ma