Les premières luttes syndicales concernant l’informatique éclatent en 1971 dans les ateliers de saisie de l’information du tertiaire (banques, assurances, ministère des PTT…). Elles sont le fait des opératrices de saisie, qui travaillent dans des ateliers de 100 ou 200 personnes. Les revendications ne sont pas salariales, mais portent sur les conditions de travail. Le travail est peu intéressant, très répétitif et le passage des cartes perforées au terminal à écran cathodique est l’occasion d’augmenter les cadences exigées de 12000 à 18000 caractères à l’heure (5 mouvements de doigts par seconde). La CFDT, bien implantée dans tous les secteurs concernés, est la première organisation syndicale à prendre en charge de tels conflits et effectue un énorme travail de recherches et de réflexion, auquel participe l’UCC-CFDT sur le thème « Informatique et conditions de travail ».

Conditions de travail et défense des libertés

Cette période, au cours de laquelle l’informatisation est ressentie surtout comme une évolution négative, connaît son apogée avec la parution du livre Les dégâts du progrès1. qui dénonce les premières conséquences de l’informatique sur les conditions de travail et les emplois.

Le développement de l’utilisation des mémoires sur disque permet la mise en place des premiers grands fichiers nominatifs informatiques. Le projet gouvernemental de 1974, maladroitement appelé Safari, de création pour chaque Français d’un numéro unique permettant la connexion facile des fichiers administratifs déclenche une vague d’oppositions. L’UCC-CFDT participe largement aux débats sur les atteintes aux libertés individuelles et collectives que fait courir une utilisation non réglementée des fichiers. Ces débats obligent le gouvernement à abandonner le projet Safari et permettent d’aboutir à la loi Informatique et libertés de 1978.

Dans cette troisième phase, qui correspond au début de la période de « resyndicalisation », la CFDT se caractérise par une attitude toujours critique mais refusant la technophobie et accompagnée de propositions de contrôle des technologies par les salariés. La CFDT passe de la contestation à la proposition constructive. L’UCC-CFDT organise de nombreuses missions d’étude à l’étranger, en particulier en Suède, Norvège, Allemagne, Italie, Québec, Pays-Bas, et participe à des échanges fréquents avec les autres membres de la Confédération européennes des syndicats. Ces contacts permettent de découvrir les actions déjà mises en œuvre par les organisations syndicales d’autres pays, en particulier scandinaves, pour maîtriser les technologies. Par exemple, le syndicat suédois TCO a obtenu dès 1972 un contrôle des projets informatiques et dès 1975 l’application d’une norme, qui existe toujours, labellisant l’ergonomie et la qualité des écrans cathodiques. L’analyse des situations réelles des salariés utilisant l’informatique fait apparaître le non-déterminisme de la technologie. Les mêmes technologies n’induisent pas les mêmes effets. Tout dépend des innovations organisationnelles et de la manière dont la technologie a été mise en place : avec ou sans participation des salariés, avec ou sans négociations avec leurs représentants. C’est pourquoi l’UCC-CFDT publie une série de propositions sur le contrôle des investissements informatiques2. Rendues publiques en septembre 1979, lors du colloque national « Informatique et société », par une intervention d’Edmond Maire, elles ont un large écho dans les médias et les entreprises. La première proposition, qui insiste sur le rôle du Comité d’entreprise, est entièrement reprise dans les lois Auroux de 1982 et dans l’article L432-2 du Code du travail qui prévoit que « le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à tout projet important d’introduction de nouvelles technologies » et dans l’article L434-6 qui concerne le recours par le CE à une expertise technologique.

Pendant cette phase, l’UCC-CFDT lance une grande campagne sur « Le rôle des cadres et les changements technologiques » : animation d’un colloque international des 4 et 5 décembre 1980, de sessions et soirées de formation, de journées régionales (Cadres CFDT n° 295, 297, 300, 302). De nombreux documents sont diffusés, conçus dans l’esprit d’un « syndicalisme de services », pour permettre aux adhérents et aux militants d’agir pour maîtriser la diversification des technologies : informatique de gestion, bureautique (lancement du PC en 1982), robotique, télématique (lancement du Minitel en 1981). Par exemple : une exposition itinérante de 25 panneaux expliquant les enjeux des technologies est utilisée par plus de 100 sections syndicales d’entreprises et touche plus de 500 000 salariés. Un des panneaux détaille une « Grille d’analyse sur les effets du système d’organisation mis en place lors d’un changement technologique »3. Le Conseil économique et social reconnaît le rôle important de la CFDT dans ce domaine en confiant un rapport sur les enjeux de la robotique au représentant de l’UCC-CFDT4.

Des technologies aux systèmes d’organisation

La période 1985-1995 est l’occasion pour l’UCC-CFDT de mettre en œuvre le titre programmatique de son congrès de Strasbourg, « Créons les métiers de demain ». Voulant transformer les qualifications en transformant l’organisation des entreprises, les efforts de l’UCC-CFDT portent en priorité sur l’analyse des évolutions du rôle et des métiers de cadres induits par les nouveaux systèmes d’organisation. En effet, ces années sont marquées, plus que par l’apparition de technologiques spectaculaires, par la diffusion massive des technologies existantes telles que la bureautique dans le tertiaire, les automates programmables et les robots dans les ateliers de production… Cette diffusion est accompagnée par la généralisation rapide des grandes innovations organisationnelles venues des Etats-Unis ou du Japon : travail en flux tendu pour réduire les stocks en vue d’une flexibilité maximale, méthodes d’assurances et de certification qualité du type ISO 9000, gestion par objectif, gestion par projet, benchmarking interne et externe pour comparer les performances de chacun. Les préoccupations syndicales concernent plus les évolutions du rôle et des métiers de cadres avec les nouveaux systèmes d’organisation que les réflexions sur les technologies.

La fin des années 1990 est marquée par l’explosion des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC) que l’on appela rapidement simplement TIC. Pour la première fois les cadres, mais aussi les permanents et responsables syndicaux5, sont concernés directement par l’usage des technologies : ils doivent utiliser eux-mêmes le téléphone mobile, les boîtes vocales, le micro-ordinateur, la messagerie électronique, les moteurs de recherche… L’enquête menée par l’UCC-CFDT en 1994-1995, grâce à un questionnaire largement diffusé dans les entreprises par les sections syndicales, est la première à mettre en valeur les conséquences de l’utilisation croissante des outils portables et mobiles sur le travail des cadres : diversification des lieux de travail, augmentation du temps de travail réel…

Dès juin 1995, l’UCC-CFDT diffuse une brochure détaillant les enjeux techniques, industriels, économiques, militaires, sociaux, culturels, écologiques, médicaux, politiques et européens des nouveaux outils de communication6. Cette brochure a tant de succès qu’elle est traduite en anglais pour être diffusée auprès des autres organisations syndicales européennes. Elle est accompagnée d’un tract au titre évocateur : « 20 propositions pour rouler futé sur les autoroutes de l’information ».

Parmi les propositions figurent la nécessiter de négocier « le droit à l’isolement et le droit de coupure » (qui deviendront le « droit à la déconnexion »), la nécessité d’adapter le droit du travail aux nouvelles caractéristiques des activités professionnelles (travail à distance, nouveaux types d’astreinte…), la nécessité de mettre à la disposition de tous les acteurs économiques et sociaux les possibilités de ces nouvelles technologies.

Une nouvelle enquête UCC-CFDT sur la répartition des temps d’activités des cadres (temps professionnels, temps sociaux, temps domestiques et familiaux, temps personnels) confirme en 1999 les bouleversements produits par l’usage massif des TIC. Elle fait apparaître, par exemple, que le développement du nomadisme, et de l’interpénétration vie privée / vie professionnelle concerne un nombre croissant de cadres. Sont organisés par les différents groupes régionaux de cadres CFDT plus d’une vingtaine de séminaires de formation sur le thème « Comprendre, mesurer, maîtriser la charge de travail des cadres dans la société de l’information ». Il s’agit de mettre au point et de diffuser des méthodes d’analyse des conditions de travail et de la mesure de la charge de travail des cadres en tenant compte des spécificités liées à la société de l’information.

Ces séminaires permettent de mettre en valeur la croissance, chez beaucoup de cadres, du niveau d’ergostressie, c’est-à-dire de la combinaison charge physique, charge mentale, stress et plaisir7. L’ergostressie apparaît comme le syndrome des pathologies de la société de l’information.

Poursuivant sa volonté de participer au contrôle des technologies, l’UCC-CFDT publie, en 2002, des propositions concernant en particulier la négociation de chartes Intranet dans les entreprises et administrations, et la négociation d’un accord « Intranet syndical » pour préciser les modalités d’utilisation par les sections syndicales des intranets d’entreprise8.

En décembre 2004, l’UCC-CFDT, devenue la CFDT Cadres, rend publiques des propositions sur la nécessité de négocier le télétravail en refusant le télétravail « sauvage » mis en place sans négociation préalable et sans définition claire et écrite des droits et devoirs de chacun, entreprise et salarié9. Ces propositions sont accompagnées d’un modèle de contrat de télétravail.

On voit que, sur le thème des évolutions technologiques, la CFDT Cadres a joué et continue de jouer un rôle spécifique et novateur en restant fidèle à trois principes : analyser, proposer et fournir un service. D’une part, elle analyse en permanence par des études et des enquêtes en entreprise l’évolution réelle des métiers et des préoccupations des cadres. D’autre part, elle fait l’effort de concevoir et mettre en pratique des propositions réalistes et constructives. Enfin, elle cherche depuis 35 ans à fournir un « service » aux autres organisations CFDT, aux militants et aux adhérents sous forme de documents d’aide à la réflexion, à la formation, à la négociation et à l’action pour mieux contrôler et maîtriser les innovations technologiques et organisationnelles.

1 : Les dégâts du progrès. Les travailleurs face au changement technique (Le Seuil, 1977). Ce livre, qui a eu beaucoup de succès, a été suivi par un second paru aux éditions du Seuil en 1979, Le tertiaire éclaté.

2 : « 9 propositions des cadres CFDT pour permettre le contrôle des investissements informatiques par les travailleurs », Cadres CFDT, n°290

3 : Cette grille d’analyse d’une innovation technologique et organisationnelle est reproduite dans le n°301, de novembre 1981, de la Cadres CFDT.

4 : Yves Lasfargue, « L’utilisation de la robotique dans la production et ses perspectives », rapport du Conseil économique et social adopté en février 1982. Ce rapport a été repris aux Editions d’organisation sous le titre L’avenir de la robotique (1982)

5 : Depuis 1995, l’UCC-CFDT anime un site Internet et depuis 1996 la CFDT, au niveau confédéral, utilise Internet en publiant un site (www.cfdt.fr) et en transmettant par messagerie une grande partie des communications internes.

6 : « Vivre et travailler avec les autoroutes de l’information : enjeux des autoroutes de l’information et des multimédia », juin 1995.

7 : « Temps et densité de travail : Mesurer l’ergostressie ? » Cadres CFDT n °380, octobre 1997.

8 : « 12 propositions de la CFDT Cadres sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans les entreprises et les administrations », février 2002 (téléchargeable sur cadres-plus.net).

9 : « 15 propositions de la CFDT cadres sur le e-travail et le télétravail », décembre 2004 (téléchargeable sur cadres-plus.net).