La prévention des risques professionnels s’appuie sur un dispositif visant à réduire si ce n’est supprimer les risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles pour en limiter les conséquences humaines, sociales et économiques.

 

Un dispositif inscrit dans une logique de responsabilité sociale

Elle constitue, d’un point de vue instrumental, un outil de préservation de la main d’œuvre et de l’appareil productif tout autant que de santé publique et de protection des libertés fondamentales dont le droit à la santé reconnu, pour n’évoquer que l’échelon européen, tant par le Traité de Lisbonne que par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ainsi, ce dispositif s’inscrit plus globalement dans ce que l’on nomme « responsabilité sociale des entreprises » (RSE), telle que définie par la Commission européenne dans sa communication du 25 octobre 2011 au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. Cette notion s’analyse comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société » consistant à intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, de droits de l’homme et de consommateurs dans leurs activités et leur stratégie de base.

Les fondements de ce dispositif, enrichi par voie de sédimentation législative et réglementaire, ont été posés par la Directive du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (89/391/CEE) – directive transposée en tout ou partie dans les législations des Etats membres et, en France, par la loi n°91-1414 du 31 décembre 1991. Il y a lieu de déduire de ce dispositif que tout employeur a l’obligation de préserver la santé et la sécurité de ses salariés, et d’améliorer ce faisant les conditions de travail et le bien-être au travail.  Parmi les principes généraux posés figure l’obligation d’adapter le travail à l’homme « en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix […] des méthodes de travail et de production […] » que l’on retrouve dans la législation française aux articles L.4121-1 et suivants du code du travail qui disposent que : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

Cette disposition a été étendue par la loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 par laquelle le législateur a rappelé la nécessité d’appréhender la santé dans ses aspects aussi bien physique que mental. Ce faisant, la notion de « santé » se rapproche de la définition posée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « La santé est un état de bien-être complet physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » (1946), que par l’Organisation internationale du travail (OIT) : « Le terme santé, en relation avec le travail, ne vise pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité ; il inclut aussi les éléments physiques et mentaux affectant la santé directement liés à la sécurité et à l’hygiène du travail » (Conv. n°155, 1981). Ce dispositif vise donc à prévenir l’ensemble des risques qu’ils aient ou non une part subjective s’agissant, par exemple, des troubles musculosquelettiques (TMS) ou des risques psychosociaux (RPS). En conséquence, cette évaluation doit porter sur tous les risques auxquels les salariés sont susceptibles d’être exposés, et précéder l’adoption de mesures préventives pour qu’elles puissent être appropriées et efficaces selon leur situation.

 

Un dispositif plaçant l’homme au cœur de la démarche de prévention

C’est dans cet esprit que la Directive du Conseil du 12 juin 1989 énonce que cette évaluation doit s’adapter aux risques particuliers à certains groupes de travailleurs, ce qu’illustre la réglementation française avec l’article L.4121-3 du code du travail qui impose, notamment, de tenir compte « de l’impact différencié de l’exposition […] en fonction du sexe » – disposition introduite par la loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Il s’en déduit une prise en compte, pour l’employeur, d’éléments liées à la personne même du salarié, en l’occurrence des femmes enceintes et allaitantes, en vue d’adopter des mesures de prévention et d’information spécifiques à cette catégorie d’employés. Ces dispositions, qui visent une meilleure protection d’une population jugée plus vulnérable à certains égards, participent à la logique posée par l’article R.4121-1 du code du travail qui dispose que l’évaluation des risques professionnels doit être réalisée par « unité de travail ». Cette obligation résulte, en effet, des dispositions relatives à la constitution du Document uniquement d’évaluation des risques professionnels (DUERP) qui imposent aux entreprises assujetties à l’obligation de prévention des risques des éléments de méthode sur la façon de recenser ces derniers puis de les formaliser. À cet effet, la notion fondamentale d’unité de travail doit être interprétée au sens large pour couvrir les situations professionnelles les plus diverses, conformément à la circulaire DRT n°6 du 18 avril 2002.

Cette circulaire, qui vient à l’appui du dispositif réglementaire susvisé, rappelle que « L’évaluation a priori des risques constitue un des principaux leviers de progrès de la démarche de prévention des risques professionnels [et] constitue un moyen essentiel de préserver la santé et la sécurité des travailleurs, sous la forme d’un diagnostic en amont – systématique et exhaustif – des facteurs de risques auxquels ils peuvent être exposés ». Elle précise que cette évaluation, bien au-delà d’un « relevé brut de données », doit s’appuyer sur un travail d’analyse et d’inventaire des risques dans tous les aspects liés au travail. Elle fait par ailleurs état de la nécessité d’inscrire cette démarche dans le cadre d’un processus dynamique permettant la prise en compte des risques professionnels émergents en fonction de l’apport des connaissances scientifiques et de l’évolution des conditions de travail. Elle répond ainsi à la nécessité d’assurer la mise en œuvre effective du principe fondamental d’adaptation du travail à l’homme, figurant à l’article L.4121-2 du code du travail, dans le cadre d’une approche globale et pluridisciplinaire, tout à la fois technique, médicale et organisationnelle.

Cette dimension de la santé au travail prend tout son sens quand obligation est faite à l’employeur, au titre toujours des principes généraux de prévention, de « planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent […] l’organisation, les conditions de travail et les relations sociales » au titre de l’article L. 4121-2 du code du travail. Adapter le travail à l’homme et planifier la prévention des risques revient donc à penser les organisations, les rapports de travail, les procédures et les process à partir des collectifs de travail, et à les élaborer avec eux voire asseoir cette réflexion autour de la personne même du salarié. Sans s’inscrire spontanément et/ou exclusivement dans une démarche d’ordre « psychologique axée sur la prise en compte des caractéristiques personnelles de chaque individu (bien qu’une telle démarche puisse s’imposer dans des situations spécifiques), il y a lieu d’affiner la démarche générale de prévention inspirée à certains égards par les sciences de l’épidémiologie et de procéder à l’identification des facteurs conduisant à la propagation des risques afin de limiter leur effet et de pouvoir au mieux les supprimer.

 

Un dispositif venant en soutien de la diversité de la main d’œuvre

C’est au regard d’un tel dispositif tout autant que des enjeux sociaux et humains qui y sont attachés, que l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA) a entendu contribuer au renforcement de la prévention des risques professionnels dans un rapport produit en 2009 intitulé : « Diversité de la main-d’œuvre et évaluation des risques ; pour que tous soient couverts ». Cette agence communautaire apporte ses éclairages et souligne la nécessité de réaliser, en complément de ce que pratiqué usuellement au sein des organisations socioproductives, des évaluations globales tenant compte de la diversité de la main-d’œuvre dans l’analyse et la gestion des risques professionnels. Dans la mesure où il est établi que certaines personnes sont plus vulnérables et exposées à certains risques que d’autres employés, ce rapport s’est attelé – en l’état des connaissances scientifiques d’alors – à identifier six catégories de personnes nécessitant des mesures de prévention adaptées pour lesquelles l’agence propose des méthodologies et solutions concrètes résultant d’une approche de type benchmark : les jeunes, les migrants, les personnes handicapées, les travailleurs temporaires, les personnes d’un certain âge, les femmes (l’enjeu d’égalité professionnelle).

Ainsi, toutes ces catégories de personnel qui ne relèvent pas d’un recensement exhaustif constituent, pour chacune d’entre elles, une unité de travail pour laquelle une évaluation spécifique des risques professionnels doit être conduite et formalisée au sein du DUERP. Il s’agit, selon les recommandations de l’agence européenne, d’effectuer une analyse globale au sein de l’entreprise et non de décliner l’évaluation des risques population par population de travailleurs dans chaque unité de travail fonctionnelle, géographique, etc. – au risque, comme l’énonce le rapport Lecocq-Dupuis-Forest[1], d’investir trop largement dans l’évaluation au détriment d’une réflexion portant sur les mesures de prévention à adopter. En effet, l’apport de la doctrine européenne, qui participe au renouvellement de la culture de  prévention, est de décrire pourquoi et comment l’évaluation des risques professionnels peut et doit couvrir l’ensemble du personnel.

Plus de 25 années se sont écoulées depuis la mise en place en France des premières démarches d’évaluation des risques professionnels, et ces dernières ont été appelées à se transformer en même temps que la société. Forts de la doctrine européenne, les textes actuels s’avèrent d’une grande adaptabilité et capables dans l’enrichissement de leur paradigme d’atteindre leur finalité à savoir « couvrir tous les risques et couvrir les risques de tous ». Pensée en 1991 puis confirmée en 2001 avec l’obligation d’élaborer dans chaque établissement recevant des travailleurs un DUERP, cette démarche est appelée à intégrer de nouvelles problématiques comme cela avait été le cas il y a quelques années avec l’émergence des risques psychosociaux au travail. Certes, nous sommes encore loin d’une « parfaite » application des principes posés par la directive du 12 juin 1989 lesquels tendent, on le comprend, à se renouveler au gré des évolutions sociétales et des découvertes scientifiques. Des progrès sont donc possibles, et notamment en termes d’acceptation de la différence cognitive (douance, autisme, trouble du développement...) réalité scientifique et fait social émergent qui, par la révélation d’une surexposition de certains travailleurs à certains risques[2], contribuera à son tour au dynamisme de ces dispositions progressistes. C’est ainsi qu’une plus grande attention des acteurs publics et privés dans la prise en compte de la diversité de la main d’œuvre en matière de santé et de sécurité au travail participerait à l’efficacité des politiques publiques en matière d’inclusion sociale et de croissance économique.

[1] « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée », Rapport au Premier ministre », août 2018

[2] « Travail, emploi et douance », Revue Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, juillet 2019