L’organisation des entreprises évolue fortement sous la contrainte des marchés, de la dématérialisation et l’arrivée d’une nouvelle génération d’entités économiques : les Gafas, les startups, et plus globalement ce que nous dénommons les plateformes. Ce sont souvent de nouveaux types d’intermédiaires économiques qui bouleversent les chaînes de valeur (par exemple les plateformes de mise en relation de travailleurs et donneurs d’ordre) ou des plateformes qui réinventent un secteur d’activité (AirBnB dans l’hôtellerie, BlaBlaCar dans le transport de personnes, Amazon dans la distribution et la logistique, etc.).

Les organisations plus traditionnelles sont obligées de s’adapter. Elles doivent faire preuve d’agilité, de réactivité, de souplesse. Elles font également face aujourd’hui à un marché du travail qualifié très tendu. En France, par exemple le taux de chômage des cadres était de 3,8% et celui des travailleurs bac+2 de 5,7% selon l’Insee et Pôle Emploi avant la crise du Covid19. La tendance est encore plus marquée en Europe de l’Ouest.

Les entreprises doivent également faire face au départ massif en retraite des baby-boomers et à l’arrivée de la génération Y. Les 20-35 ans d’aujourd’hui seront majoritaires dans les effectifs de travail en 2025[1]. Or leurs attentes et leur rapport au travail et à l’entreprise sont très différents : un besoin affirmé d’équilibre entre vie personnelle et professionnelle, un engagement autour de projets inspirants et de leaders charismatiques, un rejet à 92% du profit comme seule mesure de la performance, une attente de développement personnel, un passage de l’emploi à la compétence, un très fort désir d’autonomie et par conséquent des parcours professionnels variés dans des environnements et organisations divers, d’où une attraction marquée pour le travail « indépendant »[2].

Le travail se disloque, l’entreprise devient de plus en plus étendue pour faire face à ses besoins d’innovation, de transformation et de qualité de service en des temps records. Dans les équipes digitales et IT, il y a aujourd’hui en moyenne plus de 50% des collaborateurs qui sont externes à l’entreprise. Les écosystèmes sont totalement reconfigurés. Les rapports au temps, à l’espace et à l’autre sont totalement bouleversés et challengent le lien de subordination attaché au contrat de travail. Les DRH aussi sont percutés par cette mixité grandissante entre salariés et indépendants dans les entreprises. En effet, ils gèrent les contrats de travail, la sélection et la formation des personnels salariés mais absolument pas les travailleurs indépendants intégrés aux équipes projet qui ont sont « recrutés » par les directions des achats ! L’enjeu est d’initier une plus grande coopération entre DRH et DHA dans la gestion d’un capital humaindiversifié et aux statuts pluriels.

Finalement, n’y a-t-il pas aujourd’hui un équilibre à trouver entre réglementation du cadre de travail et régulation du travail indépendant, entre droits des salariés et des travailleurs indépendants, entre transformation des métiers et développement des compétences des salariés et des indépendants, entre culture d’entreprise façonnée par le lien de subordination et culture inspirée de l’autonomie, agilité et confiance dont font preuve les indépendants ? C’est tout l’enjeu de la « démarche Union »[3] qui vise à créer et développer les droits des travailleurs indépendants tout en sécurisant juridiquement l’entreprise face au risque de requalification.

 

Union, une plateforme d’un nouveau genre pour les travailleurs indépendants

 

Union est une plateforme d’un nouveau genre pour les travailleurs indépendants. A la différence des plateformes d’intermédiation du travail comme Uber, Malt, Brigad et bien d’autres, Union a pour ambition de défendre et concevoir de nouveaux droits pour les travailleurs indépendants, et plus particulièrement ceux qui travaillent seuls, sans employer de salariés, ceux qui sont polyactifs (salariés et indépendants) mais qui n’appartiennent pas à une profession régie par un ordre. Il y a en France 16 professions réglementées[4]. Union a aussi pour ambition de proposer des services mutualisés à ses adhérents afin de leur permettre d’accéder plus simplement à des offres conçues pour eux.

Les travailleurs indépendants représentent une population qui augmente fortement dans certains secteurs d’activité. Ils sont au nombre de 3 millions, selon l’Insee. C’est une population qui recèle des disparités importantes selon les secteurs et métiers. C’est aussi un univers très hétérogène en termes de statuts et de situations. Les indépendants sont 3,1 millions en France dont 1,75 million de travailleurs indépendants exerçant en solo. Cela représente presque 12% de la population active, avec une relative stabilité dans le temps. Mais la réalité est très différente par exemple quand on regarde les travailleurs du savoir et du numérique : +150% de croissance en 10 ans selon Eurostat. De même selon l’Insee, seuls 24% des travailleurs sont économiquement indépendants. En moyenne un micro-entrepreneur touche 500€/mois et 18% des travailleurs indépendants sont des travailleurs pauvres (contre 7,6% des salariés).             

En 2017, la Fédération Conseil, Communication, Culture de la CFDT a souhaité lancer une expérimentation qui visait à se rapprocher des travailleurs indépendants pour mieux comprendre leurs attentes, notamment en matière sociale. Forte de son action dans les branches de la culture, de la communication et du conseil, la F3C avait identifié une transformation importante dans les relations de travail, une recherche de plus d’agilité, de souplesse de la part des entreprises et le début d’une tension du marché du recrutement pour certains métiers, en particulier l’informatique et le numérique. Le recours aux
« freelances » était devenu monnaie courante. Dans le même temps, émergeaient les plateformes d’intermédiation et de nouvelles problématiques du travail. Lors de son 47ème congrès en juin 2018, la CFDT a voté à une écrasante majorité le principe de s’intéresser à ces travailleurs d’un nouveau genre et de les accompagner. Il ne restait plus qu’à imaginer le véhicule adapté pour le faire. L’intérêt d’avoir la CFDT à nos côtés est double : bénéficier d’un apport en compétence sur la négociation collective dans les branches professionnelles et pouvoir s’appuyer sur le maillage territorial des Unions régionales et départementales pour créer des événements à destination des travailleurs indépendants.

 

Union, première plateforme de revendication sociale pour les travailleurs indépendants

 

Union est née de la rencontre entre la CFDT, certains de ses adhérents « slasheurs »[5] et des collectifs de travailleurs indépendants. C’est une association loi 1901 dont les statuts ont été déposés en septembre 2019. Union a deux missions : construire des droits et la défense des indépendants et proposer des services sur-mesure pour ses adhérents.

 

La construction de droits et la défense des travailleurs indépendants

 

La principale mission d’Union est de défendre les droits existants, mais surtout d’anticiper le monde du travail de demain et de proposer de nouveaux droits pour les travailleurs indépendants.  Les relations au travail évoluent, tant du point de vue de l’entreprise (besoin d’agilité, de souplesse, de flexibilité mais aussi de talents) que du point de vue du travailleur (souhait d’autonomie dans l’organisation du travail, émergence forte du télétravail, valorisation du talent…). Les populations qui travaillent en mode projet dans les entreprises sont de plus en plus souvent composées de salariés et de travailleurs prestataires. Nous voyons aussi clairement aujourd’hui que nous sommes régulièrement exposés aux risques climatiques, pandémiques et que l’organisation du travail, l’activité même, la création de valeur peuvent en être affectées. Les parcours professionnels sont moins linéaires qu’auparavant et impliquent de plus en plus souvent des changements de statut contractuel, en passant du salariat à l’indépendance (ou inversement). Union a choisi d’accompagner ces changements et non de s’y opposer, contrairement à d’autres organisations.

Les nombreux échanges avec les travailleurs indépendants nous ont permis de comprendre qu’ils ne cherchent pas dans leur très grande majorité une requalification en salariat, mais au contraire une autonomie de travail dans un environnement socialement plus protecteur et une relation plus équilibrée avec les donneurs d’ordre (les plateformes, les entreprises). Les travailleurs indépendants sont régis, non pas par le code du travail, mais par le code du commerce. Et cela change tout. En effet, la relation contractuelle et commerciale ne dit rien par exemple sur le temps de travail, sur la formation, sur la protection sociale, sur la protection sanitaire, etc. Il est donc plus que temps d’organiser cette réflexion et de proposer une régulation des relations entre donneurs d’ordre et travailleurs indépendants d’une part, et d’imaginer une protection sociale « socle » et homogène qui faciliterait les parcours variés au cours d’une carrière. La retraite à points en est un excellent exemple. Union revendique par exemple que les travailleurs indépendants soient plus largement éligibles à l’ATI[6] (800 euros pendant 6 mois) et exemptés des frais de liquidation (environ 3 000 euros), soit l’équivalent de l’ATI ! Union revendique également que les entreprises soient dans l’obligation de régler leurs factures aux travailleurs indépendants dans les délais légaux comme la loi les y oblige, sous peine de procédure de « name and shame »[7], voire d’amendes ou de rétorsions fiscales.

 

La proposition de services sur-mesure pour ses adhérents

 

Les travailleurs indépendants ont besoin que l’on améliore leur protection sociale, leur prévoyance, le risque de perte d’activité, comme en ce moment en pleine crise du Covid19 car leur couverture est loin d’atteindre celles des salariés, malgré un taux de charges sociales pour l’indépendant assez élevé, sans le support de l’employeur, en particulier pour les rémunérations inférieures à 15 000 euros par an (les micro-entrepreneurs en majorité). Le sujet est d’ailleurs à l’étude, porté par le Haut conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPs) sous l’autorité du Premier ministre et les conclusions seront rendues en juillet prochain. L’action d’Union sur ce sujet précis comme tant d’autres sera importante, et nous l’espérons, déterminante.

Mais Union a choisi de proposer à ses adhérents, par le principe de la mutualisation, des offres de services de type assurantiel ou de commodité avec des rapports qualité/prix très attractifs. Grâce à des partenaires choisis pour leurs compétences et leurs valeurs, Union sera en capacité de proposer d’ici fin 2020 des produits d’assurances comme la responsabilité civile professionnelle, la complémentaire santé, la prévoyance ou bien même l’assurance biens professionnels. Les indépendants nous ont également demandé de mettre à leur disposition des tarifs négociés sur des services de commodité comme l’hébergement, les transports, etc. C’est une nouvelle forme de syndicalisme qui s’ouvre, un syndicalisme qui mise à la fois sur la revendication sociale pour l’intérêt général et les services sur-mesure à l’adhérent. Au travers des expériences que nous avons avec certains collectifs d’indépendants, nous voyons bien qu’il y a là une réponse pertinente à leurs préoccupations et un réel levier d’adhésion.

 

Union, de l’adhésion à la représentation

 

Union rassemble des travailleurs indépendants adhérant à titre individuel, des slasheurs mais aussi des collectifs d’indépendants. L’adhésion du plus grand nombre d’indépendants donnera à Union la légitimité de son expression et permettra de d’identifier des attentes et des revendications sur une base de situations métier et statutaire très diversifiées.

Mais la représentation des travailleurs indépendants doit également passer par une logique démocratique sur une base large que seule permet l’élection professionnelle. La commission présidée par Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de Cassation, nommée par le Premier ministre est chargée de faire des propositions en juin 2020 sur la représentation des travailleurs de plateforme des transports. Un premier pas très encourageant mais Union milite pour que cette réflexion ne soit pas limitée aux seuls travailleurs de plateforme du transport mais pose les bases d’une représentation plus globale des travailleurs indépendants n’employant pas de salariés. C’est de cette manière que nous pourrons faire avancer le droit et la régulation nécessaires à l’harmonisation des statuts et à la fluidité des parcours professionnels.

Être en dehors du statut salarié ne doit pas signifier l’absence de droit ou la précarisation des travailleurs. Le débat est ouvert. Union a bien l’intention d’y apposer sa marque. Rejoignez-nous sur Union-independants.fr.

 

[1] Oliver Wyman, « La Grande InvaZion », BNPP-The Boson Project, 2015.

[2] « Quel rôle pour la Fonction RH en 2020-2025 » ?, Livre blanc Orange, 2015.

[3] www.union-independants.fr.

[4] Union vise à rassembler tous les travailleurs indépendants solos (n’employant pas de salariés de manière régulière), quel que soit leur statut juridique et hors professions réglementées par l’un des 16 ordres professionnels que sont : le Conseil National des Barreaux, le Conseil Supérieur du Notariat, l’Ordre des Avocats au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, l’Ordre des Avocats de Paris, la Chambre Nationale des Huissiers de Justice, l’Ordre des Architectes, l’Ordre des Géomètres-experts, l’Ordre National des Vétérinaires, l’Ordre National des Experts-comptables, l’Ordre des Masseurs-kinésithérapeutes, l’Ordre des Sages-femmes, l’Ordre National des Médecins, l’Ordre National des Pharmaciens, l’Ordre National des Infirmiers, l’Ordre National des Chirurgiens-dentistes, l’Ordre National des Pédicures-podologues.

[5] Un slasheur est un polyactif, en général salarié et travailleur indépendant.

[6] Allocation des Travailleurs Indépendants.

[7] « Name and shame » : nommer les entreprises publiquement et faire honte à leurs pratiques.