Au début de l’année 2004, les inquiétudes sur les risques d’emballement de la croissance ont poussé les autorités chinoises à mettre en œuvre une série de mesures destinées à freiner la croissance. Les obligations de réserve des banques ont été durcies et instruction a été donnée aux institutions financières de restreindre leurs crédits aux secteurs en surchauffe, particulièrement l’immobilier, l’acier et le ciment.

Depuis ce changement de politique économique, les risques de surchauffe semblent s’éloigner. Mais six fragilités structurelles majeures continuent à menacer la pérennité de la croissance.

Fragilité du système bancaire

La première est à rechercher du côté des mauvaises performances du secteur bancaire et de ses relations incestueuses avec les entreprises d’Etat. Le réseau de relations liant le secteur financier et les entreprises publiques a pu être qualifié de « trou noir » : le secteur bancaire est très performant pour capter l’épargne domestique, et il faut noter que dans les deux dernières décennies, la Chine a connu des taux d’épargne particulièrement impressionnants compris entre 35 % et 43 % du PIB ; mais l’allocation de cette épargne pour financer les projets d’investissement des entreprises publiques conduit à sa quasi-annihilation. Environ 50 % des encours de crédit seraient constitués de prêts non performants.

En dépit du soutien financier dont elles ont bénéficié en 1999 et 2000, la dégradation de la situation financière des banques chinoises se poursuit. Elles continuent à accumuler des créances douteuses en raison du poids de la puissance publique dans leur

décision de prêts. L’Etat contrôle en effet la quasi-totalité du capital bancaire. Il n’existe qu’une seule banque privée chinoise et le caractère très restrictif de la réglementation bancaire limite de fait les banques commerciales étrangères à moins de 2 % de parts de marché.

Les considérations de profit sont encore secondaires en comparaison des objectifs assignés par les autorités locales ou centrales : les banques sont incitées à financer des projets dont la rentabilité est douteuse. Aussi longtemps que de tels projets seront financés par le secteur bancaire et non via la fiscalité, le problème de l’absence de contrainte de rentabilité persistera : les entreprises font peu de cas de la profitabilité de leurs activités et les banques n’ont aucune incitation à s’assurer de la qualité de leurs créances. Elles peuvent compter sur l’injection de monnaie par les autorités, le cas échéant, et leur refinancement.

Les banques publiques continuent à orienter leurs prêts aux grandes entreprises publiques sans financer les besoins des petites. Parallèlement, le marché d’actions est de petite taille, très spéculatif et très peu d’émissions nouvelles y ont lieu. En outre, le marché obligataire demeure quasi inexistant comme source de financement possible du secteur privé.

Une croissance durable peut difficilement être envisagée sans des banques ou des marchés financiers capables de financer la croissance. Des mesures ont été prises pour accroître les financements au secteur privé comme la suppression des plafonds de taux d’intérêt sur les crédits, ce qui permet aux banques de prêter aux PME en prenant les primes de risque nécessaires, mais le véritable problème des relations incestueuses entre le secteur bancaire et les grandes entreprises publiques et des créances douteuses qui en résultent n’a pas été traité.

Un refinancement du secteur bancaire et l’établissement d’une séparation claire entre la politique d’investissement et les activités commerciales des banques ne peut représenter qu’un volet, par nature insuffisant, des mesures nécessaires pour résoudre le problème. Il est nécessaire, en parallèle, de transformer ces grandes entreprises publiques appartenant au secteur commercial en entités privés. Celles-ci doivent être confrontées au risque de faillites lorsqu’elles sont insolvables. Cela suppose également de ne plus les assujettir à des tâches qui relèvent du domaine public et de leur permettre d’ajuster leur main d’œuvre en conséquence. Cela implique donc de développer un système adéquat d’assurance publique pour prendre en charge officiellement le chômage actuel encore masqué au sein des grandes entreprises d’Etat.

Un écart peu réconciliable entre offre et demande de travail

L’offre abondante de main d’œuvre peu qualifiée a constitué un facteur clé de l’intégration de la Chine à l’économie mondiale. Cependant, ce facteur constitue, dans le même temps, une menace majeure sur le caractère soutenable du modèle socioéconomique de la Chine du fait de l’ampleur du déséquilibre entre l’offre de main d’œuvre et les capacités d’absorption du marché du travail. Jusqu’ici, la Chine semble avoir réussi à maintenir cet écart dans des proportions socialement acceptables. Il est loin d’être certain que cet équilibre précaire demeure au fur et à mesure que les inégalités de destin se creusent et qu’elles deviennent plus perceptibles.

Les entreprises d’Etat sont à la tête d’un large réservoir de chômage caché. Le transfert de cette main d’œuvre vers les secteurs concurrentiels constitue un défi majeur. Les évaluations économiques font état d’un flux annuel de cinq millions de personnes qui pourraient perdre leur emploi dans les entreprises publiques.

Parallèlement à ces évolutions dans le secteur industriel, le volume de l’emploi dans le secteur agricole diminue de manière drastique : à la fin des années 1990, la Banque mondiale prévoyait une division par deux par rapport aux 350 millions de personnes alors employées. En outre, la Chine fait face à une évolution démographique peu favorable de ce point de vue, avec une population des 15 à 64 ans qui devrait continuer d’augmenter au moins jusqu’en 2015. L’exode rural touche ainsi près de 15 millions de personnes chaque année. Le défi que représente l’absorption d’un tel afflux de main d’œuvre est énorme.

La question reste entière de savoir qui consommera les biens produits par la main d’œuvre chinoise. La demande interne chinoise est le principal débouché de cette production et devrait le rester compte tenu de son augmentation prévisible dans les prochaines années. Un taux d’exportation de 31 % du PIB en 2003 indique cependant clairement que l’économie mondiale est un employeur de première importance pour la main d’œuvre chinoise. A l’heure actuelle, c’est probablement la demande mondiale qui permet d’éviter l’effondrement du marché du travail. Le modèle chinois n’est soutenable qu’en raison de la demande étrangère. Une diminution de celle-ci se traduirait par un accroissement encore plus important du chômage et de la pauvreté, qui serait source de troubles sociaux eu égard aux insuffisances du système social chinois.

Disparités régionales

La politique de différenciation régionale a été un important moteur du développement économique de la Chine. Il a permis le développement progressif de l’économie de marché, l’utilisation de ressources rares dans les régions les plus à même de les utiliser de la manière la plus efficiente tout en instaurant une concurrence interrégionale. Après 25 ans de transformations et d’ouverture économiques, il est cependant devenu évident que les effets positifs d’une telle politique se sont réalisés à un coût sans cesse croissant. Contrairement aux souhaits politiquement affichés, les régions qui se sont transformées et industrialisées n’ont, pour l’instant, pas suffisamment pu tirer économiquement les régions les plus en retard : on n’observe pas, jusqu’ici, de transfert des segments devenus les moins rentables de la chaîne de production vers l’intérieur des terres. Au contraire, l’écart de développement s’accroît et la distribution des revenus est de plus en plus inégalitaire. En 2004, la Chine se rapproche à nouveau des niveaux d’inégalité qui étaient les siens avant l’ère communiste, même si c’est pour un revenu global nettement plus élevé.

L’explication de telles évolutions est à rechercher dans les effets d’auto-renforcement des avantages à la localisation des activités économiques dans les régions côtières au fur et à mesure que celles-ci voyaient leur niveau de développement se renforcer. Symétriquement, les régions caractérisées par des conditions de départ peu favorables au développement ont vu leur capacité d’attraction des investissements se réduire peu à peu. Contrairement à la volonté politique, mais en accord avec les enseignements de la théorie économique, les flux nets de capitaux se sont dirigés de l’ouest vers l’est, où les possibilités de gains sont plus importantes, de sorte que les régions de l’intérieur ont vu diminuer leurs capacités de financement des infrastructures et de leur propre développement.

De plus, les régions de l’ouest subissent une importante fuite des cerveaux au fur et à mesure que les plus qualifiés et les plus entreprenants migrent vers les régions de l’est, où ils peuvent espérer de plus hauts revenus et de meilleures conditions de vie. Parallèlement, un afflux important de main d’œuvre peu qualifiée vient chercher dans les régions côtières un espoir de travail mieux payé.

Plus que celui des inégalités de revenus, c’est le problème des inégalités dans les chances de participer au processus de développement chinois qui est le plus aigu. Au cours des deux dernières décennies, la croissance chinoise a conduit à une polarisation des régions chinoises en deux groupes : d’un côté, les riches provinces côtières et du nord, de l’autre, les provinces pauvres de l’intérieur. Même si à l’intérieur de ces deux groupes de régions, les revenus moyens ont pu être marqués par une certaine convergence, les deux groupes ont chacun expérimenté des trajectoires de développement de plus en plus divergentes. Une telle disparité n’est pas soutenable à long terme.

De telles divergences de trajectoire peuvent rendre nécessaires l’intervention publique dans le but de les atténuer en cherchant à rompre le cercle vicieux qui voit les régions les plus riches drainer les ressources humaines et financières des régions les plus pauvres. L’impulsion initiale nécessaire à la mise en oeuvre d’un processus auto-renforçant de développement dans les régions de l’intérieur doit probablement venir des autorités centrales. La Grande stratégie de développement de l’ouest lancée en 2000 est une de ces politiques destinées à résoudre les problèmes criants de disparités régionales.

Fragmentation du marché

Le marché chinois est particulièrement fragmenté en raison de barrières de toutes natures aux échanges intérieurs et notamment institutionnelles. Cette fragmentation a eu tendance à augmenter dans les dernières années sous l’effet des réformes entreprises. Sous l’appellation « d’assistance à l’économie locale », les gouvernements locaux ont en effet utilisé leurs pouvoirs administratifs accrus pour mettre en place une protection multiforme des intérêts des travailleurs et des entreprises sous leur autorité.

L’imposition de droits de douane pour empêcher l’entrée de produits extérieurs à la région ainsi que l’introduction de discriminations (dans le système de prix, dans l’attribution de permis d’entrée sur le marché local et dans le cadre des appels d’offre) visaient à limiter la concurrence et à soutenir l’emploi et la survie des entreprises publiques déficitaires. Les autorités locales ont souvent justifié leurs mesures protectionnistes par leur stratégie régionale de substitution aux importations. A l’image de celle menée à l’échelle nationale, cette stratégie vise à promouvoir le développement local d’industries industrialisantes encore naissantes mises à l’abri de la concurrence par des restrictions commerciales de tous types. Les politiques d’industrialisation par substitution des importations ont évidemment conduit à la multiplication au niveau local d’entreprises sous optimales et à la fragmentation de l’économie en fonction des frontières provinciales. La perpétuation de ces déséquilibres peut conduire à une rupture brutale dans le processus de croissance, elle appelle en tout état de cause une correction à terme qui pourrait ajouter aux déséquilibres sociaux si cette correction devait se faire suite à une crise dans le rythme de la croissance.

Capitalisme d’Etat et corruption

La politique chinoise en faveur de la création de champions nationaux par la mise en oeuvre de mesures sélectives de soutien et de politiques discrétionnaires de régulation n’est pas sans rappeler les politiques industrielles de la Corée et de l’Asie du sud-est qui ont joué un rôle dans la crise asiatique des années 1997-1998. Il est incontestable que la politique chinoise de champions nationaux se réalise au prix d’un système concurrentiel notoirement sous-développé en Chine. Malgré les disciplines introduites par l’OMC (et par exemple la clause de traitement national dans le secteur des services), le jeu concurrentiel n’est pas encore ouvert en Chine pour l’ensemble des secteurs.

Les relations croisées entre les autorités publiques et les milieux d’affaires sont aujourd’hui d’une toute autre nature de ce qu’ils étaient sous l’ère de la planification centralisée. Les dirigeants d’entreprises n’étaient alors rien d’autre que des agents exécutants dans un système de commandement totalement hiérarchisé. Avec le développement de l’économie de marché et l’ouverture internationale, nombre de postes dans l’appareil administratif sont devenus superflus. Leurs titulaires se sont reconvertis et occupent des places de premier plan dans la gestion des entreprises privées. En maintenant leur capital social et en établissant de nouveaux réseaux d’influence, ils ont reconstitué de nouvelles passerelles entre secteur privé et gouvernement. Ce jeu d’influence menace les performances de long terme du système économique chinois aussi longtemps qu’il reste un encouragement à la corruption et qu’il renforce les moyens de pression des autorités sur le secteur privé.

Dans la période récente, les pratiques de corruption sont devenues un sujet d’attention récurrent des médias chinois, révélant l’omniprésence de la corruption qui a pénétré l’ensemble des domaines de la vie économique et sociale. C’est une des principales sources de mauvaise allocation des ressources. Les structures économiques inadaptées qui sont ainsi générées ajoutent aux différents déséquilibres qui ont pu être listés plus avant. L’accumulation de tels déséquilibres rendra plus brutal tout ajustement qui surviendrait à la suite d’un élément déclenchant et ce quel qu’il soit. Les autorités semblent avoir pris la mesure du phénomène et de ses implications potentielles mais peinent à intervenir efficacement.

La situation des comptes extérieurs chinois est beaucoup plus saine qu’elle ne l’était pour les pays asiatiques avant le déclenchement de la crise de 1997-1998 en raison notamment d’un financement interne et non pas externe de l’investissement.

Le taux d’épargne de la Nation (46 % du PIB en 2003) demeure en Chine encore plus élevé que le taux d’investissement (44 %). En comparaison, la Corée ou la Thaïlande dépendaient nettement plus que la Chine de financement extérieurs. Si la Chine, de ce point de vue, ne dépend pas des financements extérieurs pour sa croissance et pourrait faire face à un ralentissement brutal des financements extérieurs en cas de crise de confiance à l’origine de la crise asiatique, le problème principal réside dans la faible rentabilité économique des investissements financés par l’épargne domestique. L’épargne très abondante a une rentabilité économique faible. Elle finance beaucoup d’accroissement du capital mais peu d’accroissement du PIB.

Le risque est ici d’un ralentissement de la croissance si la composante fondamentale que constitue l’investissement venait à fléchir. Il n’est pas exclu que ce ralentissement soit brutal si la diminution des taux de croissance venait à provoquer des troubles sociaux que les déséquilibres générés jusqu’ici et évoqués plus avant ont rendu possible. Outre la faible rentabilité de l’épargne investie en Chine un deuxième risque de ralentissement de la croissance réside dans le caractère extrêmement vorace en matières premières de la croissance chinoise qu’alimente un investissement orienté aujourd’hui très majoritairement vers les industries capitalistiques.

Le risque majeur : une hausse non soutenable du prix des matières premières

Alors que le taux d’investissement de la Chine est très élevé, il continue à progresser très rapidement et en particulier en ce qui concerne l’investissement dans les biens d’équipement. Le rapport entre le capital et le PIB a crû de 1,5 en 1992 à 3 en 2004, un niveau supérieur à celui du Japon (2,4 en 2004), de l’Allemagne (2,1), de la France (1,7) ou des Etats-Unis (proche de 1). La Chine a ainsi une économie plus capitalistique que les Etats-Unis, le Japon ou l’Europe. En parité de pouvoir d’achat, le montant de capital investi par emploi (75000 $ en parité de pouvoir d’achat) est similaire à celui des pays les plus avancés.

Cette forte intensité capitalistique de la croissance chinoise est directement liée au développement rapide de l’industrie lourde (ciment, acier, aluminium), de l’automobile et de l’énergie alors que l’emploi dans les services stagne. La production industrielle de la Chine croît ainsi beaucoup plus vite qu’en Inde par exemple.

Cette croissance de la production industrielle est jusqu’à présent compatible avec le fort afflux de main d’œuvre en provenance des provinces de l’intérieur et avec une croissance tirée par les exportations alors que la consommation domestique progresse mais moins rapidement que le PIB.

Ceci se traduit cependant par une demande extrêmement forte en énergie et plus généralement en matières premières. La consommation chinoise de pétrole atteint aujourd’hui 60 % de la consommation des Etats-Unis mais si la croissance de la consommation américaine est à peu près égale à celle du PIB, l’efficacité énergétique de l’économie chinoise se dégrade depuis 2000.

La Chine joue désormais un rôle décisif dans l’accroissement de la demande mondiale de produits de base. Elle explique à elle seule plus de la moitié de la hausse de la demande mondiale de minerais de fer entre 1997 et 2002.

Comme pour la ferraille, l’acier, le cuivre ou le nickel, la Chine est aussi un acteur majeur dans le marché du charbon, qui représente un intrant important pour le secteur sidérurgique. La fermeture de capacités de production en Chine en 2002 a eu un impact clair sur ses exportations et sur le prix mondial qui a commencé à augmenter après une période de baisse continue.

Dans ce contexte de hausse des prix des matières premières liée au déséquilibre entre une offre par essence assez inélastique à court terme et une demande en forte croissance, la sécurité de l’approvisionnement de leur industrie revêt une dimension stratégique pour les autorités chinoises. Celles-ci encouragent les opérateurs chinois à conclure des contrats d’approvisionnement à long terme et à développer leurs investissements à l’étranger, notamment dans le secteur minier, via en particulier des conditions de financement très favorables.

Dans le même temps, elles ont mis en œuvre des mesures visant soit à restreindre les exportations de certaines matières premières dont la Chine dispose, comme le coke, soit à capter celles disponibles sur les marchés internationaux (par exemple, les déchets de métaux non ferreux). Ce type de mesures génère de fortes perturbations des marchés internationaux (qui sont pour la plupart véritablement globaux dans le cas des matières premières) et sont, dans certains cas (e.g. restrictions quantitatives sur les exportations de coke en 2004) contraire aux engagements internationaux de la Chine.

Il s’agit d’un sujet de préoccupation majeur pour les industries fortement consommatrices de ces matières premières (comme la sidérurgie, et indirectement, l’automobile ou les biens d’équipement) dans les autres régions du monde et particulièrement dans les pays industrialisés. La politique chinoise risque en effet d’attiser les effets sur les prix et les difficultés d’approvisionnement déjà générées par la croissance chinoise et son intensité capitalistique.

C’est probablement en même temps le risque le plus sérieux pour la croissance chinoise elle-même. Il n’est pas sans rappeler l’effet de la croissance japonaise sur la hausse de la demande mondiale de pétrole au cours des années 60 et 70 et sur les prix. Le choc pétrolier de 1973 avait donné un arrêt brutal à la croissance nippone qui n’a plus jamais retrouvé le rythme qui était le sien auparavant.

De la même manière, le niveau d’émission de CO2 de la Chine apparaît insoutenable à moyen terme. Il comporte cependant moins de risques pour sa croissance en l’absence de répercussion directe sur les coûts des émissions. Il n’en demeure pas moins un risque fondamental pour l’équilibre écologique de la planète et un défi majeur pour la communauté internationale : concilier la croissance des grands pays émergents avec des ressources naturelles limitées et un équilibre écologique précaire. La Chine n’est naturellement pas seule responsable de cet état de fait ; elle ne fait que se rapprocher des standards de consommation et de pollution des pays les plus avancés. Cependant, cette évolution pose avec d’autant plus d’acuité la question du changement de modèle technologique qui a nourri jusque là la croissance mondiale.

Qu’il soit lié à des difficultés d’approvisionnement en matières premières ou en énergie ou à tout autre facteur, un ralentissement de la croissance pourrait se traduire par une crise brutale et profonde. Les flux de populations (migratoires, des entreprises d’Etat vers le secteur privé) ne s’en trouveraient certainement pas ralentis mais au contraire pourraient être accentués par une crise de l’investissement et de la production. Les capacités de production accumulés jusque là pourraient s’avérer non rentables et leur fermeture brutale accentuerait le chômage, les migrations, les déséquilibres sociaux qui pourraient alors dégénérer en troubles politiques.

Quelles perspectives pour la croissance chinoise ?

Force est de constater que les conditions d’une prolongation de la croissance chinoise sont réunies. Les principaux facteurs à l’origine du développement rapide de l’économie ne semblent pas devoir disparaître, au moins dans un avenir proche. Si ce processus ne va pas sans créer d’importantes frictions et n’est pas encore à même de créer une économie de marché performante, les incitations institutionnelles en faveur de l’initiative individuelle se renforcent.

Le coût et la disponibilité de la main d’œuvre demeureront le principal actif de la Chine. L’absorption de la force de travail potentielle sera progressive. L’afflux régulier de main d’œuvre en provenance des campagnes permettra à la Chine de maintenir son avantage comparatif dans les biens intenses en travail peu qualifié. En comparaison, le travail qualifié (ingénierie et management) est, et restera encore longtemps, une ressource rare. Contrairement à ce qui est fréquemment avancé, le travail qualifié est rémunéré à des taux similaires à ceux qu’on observe dans les pays industrialisés. Les chiffres absolus généralement mis en avant ne doivent pas induire en erreur. Comparé aux besoins de l’économie chinoise, cette offre limitée peut devenir une contrainte et ralentir le rythme de la croissance dans les années qui viennent. Le retour des étudiants formés à l’étranger et un nombre croissant d’impatriés peuvent aider à desserrer cette contrainte, mais les salaires des personnels hautement qualifiés demeureront à des niveaux relativement élevés.

Alors que la demande domestique doit jouer un rôle de plus en plus important dans le développement économique, les relations économiques avec l’étranger continueront à jouer un rôle de catalyseur de la croissance. Le marché international doit encore jouer pour longtemps le rôle de soupape de sécurité pour l’offre de travail peu qualifié excédentaire. Actuel employeur indirect pour des dizaines de millions de salariés chinois, le marché international doit encore jouer un rôle primordial de stabilisateur de l’économie chinoise et de la société dans son ensemble.

Les risques de rupture de la dynamique actuelle de croissance ne sont pas négligeables. Il reste que les chances de les contenir, au moins dans un futur proche, semblent supérieures. Pour être en mesure de contenir ces risques, la Chine doit maintenir un taux de croissance rapide de son économie. Bénéficier de taux de croissance élevés résultant de l’accumulation de capital nouveau sous la forme d’investissements performants représente la seule manière pour la Chine de corriger quelque peu, et encore probablement de façon uniquement relative, les faiblesses déjà signalées notamment le montant des créances douteuses, le financement d’un filet social et une croissance moins intensive en énergie et en matières premières. A terme, une économie plus forte et mieux structurée pourra être en mesure de corriger ces faiblesses qui se traduisent par une croissance déséquilibrée sur les plans sectoriel et régional.

En fonction des progrès que la Chine effectuera dans la convergence des régions de l’intérieur, le temps pourrait être long avant que l’économie ne soit réellement tirée par le marché intérieur. Jusque-là, la capacité de la Chine à maintenir et accroître son intégration aux marchés mondiaux sera de première importance pour le maintien d’une croissance soutenue. Des conditions favorables pour la poursuite du développement de l’industrie manufacturière, l’espoir d’un immense marché domestique, une structure institutionnelle incitative et s’améliorant régulièrement sont des éléments clairs qui plaident en faveur de prévisions optimistes pour le pays.