Une nouvelle norme Afnor relative à l’aménagement des espaces de travail tertiaires est en préparation. Jusqu’à présent, la norme volontaire NF X35-102 « Conception ergonomique des espaces de travail en bureaux » datant de 1998 – complétée par le document de l’INRS ED 950, récemment mis à jour[1] – était le document faisant référence en matière d’aménagement. Or, de nouveaux modes d’organisation et d’utilisation des espaces tertiaires sont apparus, révélant l’incomplétude de cette norme. En conséquence, envisager une actualisation de cette norme a tout son sens.

Depuis une vingtaine d’années, malgré la norme NF X35-102, les space planners ont défini, voire imposé jusqu’à les faire passer pour des standards, des critères dimensionnels minimalistes, et toujours inférieurs à toutes les préconisations. Les implantations de postes tertiaires se sont en outre avérées stéréotypées et banalisées, malgré les discours affichés haut et fort de proposer des espaces adaptés à la réalité du travail et coconstruits avec les utilisateurs. Cette situation a été rendue possible par un désengagement de la puissance publique qui a laissé les entreprises et institutions – et par délégation les space planners et les fabricants de mobilier de bureau – réaliser des espaces de travail aux dimensions sans fondement réel, sous-dimensionnés, et ce, dans une logique d’optimisation financière. Nous, architectes et praticiens de l’aménagement des espaces tertiaires, espérons que la nouvelle norme sera en rupture avec ces pratiques minimalistes, qu’elle refusera d’entériner des principes d’aménagement des espaces justifiés par un seul objectif de « compactage » des postes de travail. Nous espérons que cette norme préconisera également aux acteurs des outils pour promouvoir une intervention ergonomique qui ne soit pas un simple accompagnement visant à limiter les « dégâts ».

Un enjeu majeur pour les conditions de travail et la santé

Les effets néfastes de certaines organisations spatiales sur la santé des salariés sont maintenant bien documentés. On ne citera que quelques résultats : augmentation de l’absentéisme dans les open spaces, un travail réalisé dans des conditions sonores insatisfaisantes pour 80 % des salariés du tertiaire, avec la perception d’une altération de la santé pour 94 % des personnes interrogées. Une étude épidémiologique récente indique que 1 personne en emploi sur 5 présente une détresse « orientant vers un trouble mental », les aménagements en flex office étant un facteur aggravant. Une étude du Conseil national du bruit et de l’Ademe[2] a travaillé sur le coût social des nuisances sonores dans le tertiaire.

Alors que le travail se structure autour de coopérations vitales pour l’entreprise et intègre une dimension sociale fondamentale, la conception d’espaces tertiaires adéquats s’avère cruciale. Les aménagements tertiaires doivent à la fois favoriser cette dimension sociale et ne pas produire d’effets nocifs sur les conditions de travail et la santé des salariés. La norme en préparation devra être à la hauteur de ces enjeux. À l’aune de notre expérience dans le domaine du tertiaire, nous pouvons lister quelques « dérives » dans les aménagements d’espaces que nous observons :

– Des surfaces par poste minimalistes ;

– Des regroupements de postes trop proches les uns des autres, la proximité devenant promiscuité ;

– Un nombre trop important de postes regroupés dans un même espace ouvert ;

– Des regroupements trop importants de postes en bench (ex : bench de 6 postes qui devraient être proscrits) ;

– Une fausse égalité de traitement spatial en open space, puisque la qualité d’une situation de travail dans un espace ouvert dépend de sa localisation ;

– Une banalisation et une « nudité » asséchantes des espaces de travail en bench ;

– Un manque caractérisé de situations de « repli » permettant de s’extraire des bureaux collectifs ou des open spaces ;

– Un décorum qui ne compense pas les fonctions d’espaces manquantes.

La norme devra, selon nous, clairement proscrire ces pratiques d’aménagement. En effet, outre les effets négatifs sur la santé déjà mentionnés, la promiscuité spatiale dans des bureaux collectifs ou des open spaces impacte négativement les communications verbales au sein des équipes. Il est paradoxal de promouvoir les open spaces comme un lieu d’échanges, alors même que le bruit ambiant oblige les salariés à porter un casque pour réussir à travailler, casque qui les isole de leur environnement ! Les espaces de travail devraient offrir des situations d’échanges nomades permettant un travail solitaire à l’abri des nuisances sonores et visuelles. La longue période de pandémie de covid a obligé les entreprises à mettre en place, parfois dans l’urgence, des modalités de télétravail. Les salariés qui ont pu travailler à domicile dans de bonnes conditions portent, de ce fait, un regard sévère sur leurs espaces de travail en entreprise. Nombreux sont ceux qui déclarent vouloir réduire leur temps de présence au bureau du fait des espaces contraints et dégradés par une exposition quasi permanente aux nuisances sonores maximisée par le sous-dimensionnement des postes. Certains salariés déclarent être prêts à démissionner. La qualité des aménagements et leur capacité à permettre un travail efficace sans mettre en jeu sa santé pourraient s’avérer majeures en matière de recrutement et de fidélisation des salariés. Il est temps de contrecarrer les dérives d’aménagement tertiaire, portées depuis de nombreuses années par les space planners, qui ont conduit à une densification déraisonnable des espaces et dégradé les conditions de travail[3].

> Le dossier CFDT Cadres sur le flex office.

 

[1]- INRS, Conception des lieux et des situations de travail – Santé et sécurité : démarche, méthodes et connaissances techniques, INRS ED 950, oct. 2021. [2]- Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.[3]- Pour en savoir plus : « Réflexions autour de la nouvelle norme NF X35-102 », à télécharger sur le site de la Société d’ergonomie de langue française (Self). https://ergonomie-self.org/2022/01/29/interpellation-une-nouvelle-norme-nf-x35-102