Le rapport Moreau, les discussions relatives au projet de loi sur la retraite ont braqué les projecteurs sur les inégalités inhérentes à notre système de retraite. En la matière, les différences hommes et femmes sont une dure réalité. Parce que la retraite est le reflet de la carrière professionnelle, on y retrouve par homothétie les inégalités salariales. Parfois avec une amplification des inégalités favorisées par un système de retraite largement construit sur la base d’une société patriarcale.

Ce document rend compte d’un débat conduit en juin 2013 sur le sujet de la retraite des femmes. A l’heure où nous mettons sous presse, le projet de loi sur la retraite reste en discussion. Le lecteur nous excusera sur l’absence d’analyse exhaustive du projet de loi, les constats restant malheureusement d’actualité.

Un bilan négatif au niveau des carrières

Quelques chiffres pour planter le décor. La retraite en droit direct (issue directement des cotisations) des femmes représente 66 % de celle d’un homme pour une carrière complète et 52 % pour une carrière incomplète. Si on y ajoute la totalité des prestations (minimum vieillesse, reversions, etc..) la retraite des femmes représente 69 % de la retraite d’un homme.

Outre ces chiffres, il est fait un constat, plus alarmant, de la persistance des inégalités salariales, professionnelles et de retraite entre les hommes et les femmes lié :

 

  • Au développement du travail à temps partiel qui concerne principalement les femmes (83 %) et affecte négativement le montant de leur pension.
  • A la surreprésentation des femmes dans les salariés à bas salaires. Ainsi, les 2/3 des salariés à bas salaire sont des femmes. En outre, les femmes sont presque deux fois plus souvent au Smic que les hommes (19,6 % contre 11 %).
  • Aux écarts de rémunération entre femmes et hommes qui persistent et, ce qui est plus grave, depuis le milieu des années 1990, cet écart ne diminue plus. Même si cette dernière affirmation est à nuancer pour les femmes cadres avec une tendance à la réduction des écarts (de un à deux points en quatre ans) des salaires moyens : 22 % en 2008, contre 20 % en 2011 et cela pour toutes les tranches d’âge.
  • A une caractéristique plus sociétale. L’arrivée d’un enfant marque le plus souvent une rupture dans les trajectoires professionnelles féminines. L’impact négatif de la parentalité sur le niveau des salaires des femmes reste peu pris en compte par les politiques publiques. Ces dernières n’ont pas été suffisamment activées face à l’entrée massive des femmes sur le marché du travail.
  • Enfin, les femmes parties à la retraite en 2004 ont validé en moyenne 20 trimestres de moins que les hommes. Cependant, les écarts de durée moyenne validée entre les hommes et les femmes hors majoration se réduisent au fil des générations, en raison de l’augmentation de l’activité féminine. La pension moyenne de droits propres des femmes est d’autant plus faible qu’elles ont eu de nombreux enfants.

 

L’articulation des temps familiaux et professionnels repose essentiellement sur les mères.

Le taux d’activité des femmes décroche avec l’arrivée des enfants : 73 % pour un enfant de moins de 12 ans, 64 % pour deux enfants et 40 % pour trois et plus.

La progression du nombre de mères à temps partiel au fil des naissances traduit également les difficultés plus grandes à articuler emploi à temps plein et vie familiale quand la famille s’agrandit. Le temps partiel – essentiellement féminin – progresse surtout après la deuxième naissance, révélant le désir de nombreuses femmes de se maintenir en emploi.

De plus, il existe une asymétrie des transitions professionnelles des hommes et des femmes après les naissances : 6 % des hommes et 40 % des femmes vivent un changement dans leur situation professionnelle à la naissance d’un enfant ;

Enfin, la division du travail reste fortement inégalitaire avec une grande différence entre hommes et femmes dans la temporalité : constance et durabilité pour l’implication féminine, investissement plus souvent occasionnel pour les hommes. Ainsi, entre 1986 et 1999, la proportion du travail domestique effectué par les hommes n’est passée que de 32 % à 35 % (enquête emploi du temps INSEE).

Des correctifs au niveau des retraites.

Au sein du système de retraite, trois dispositifs sont censés corriger ces écarts.

Le premier d’entre eux est la majoration de durée d’assurance, de service ou de points. Une majoration de durée d’assurance (MDA), de service ou de points est accordée par les principaux régimes de base, pour chaque enfant élevé. La MDA valide jusqu’à deux années par enfant élevé. Depuis 2010, le bénéfice de la MDA, jusqu’alors réservée aux femmes, est partiellement ouvert aux hommes.

Le deuxième est l’assurance vieillesse des parents au foyer.

L’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) assure la constitution de droits à la retraite au régime général à des personnes qui interrompent ou réduisent leur activité pour s’occuper de leur (s) enfant (s), quel que soit leur régime d’affiliation. Plus précisément, les périodes d’éducation des enfants pour lesquelles sont versées certaines allocations familiales (allocation jeune enfant, complément libre choix d’activité…) ou les prises en charge d’enfant ou d’adulte handicapé permettent, sous condition de ressources, un report de salaire au compte de l’allocataire, à hauteur du SMIC en cas d’inactivité, sur la base d’une cotisation forfaitaire versée par la CNAF.

Comme les droits AVPF se constituent au fil de la carrière des assurés, le dispositif continue sa montée en charge, et ce jusque vers les générations nées dans la seconde moitié des années 1950 qui partiront à la retraite aux alentours de 2020.

Le troisième correctif utilisé est la majoration du montant de pension pour trois enfants ou plus.

La majoration de montant de pension pour les assurés, femmes et hommes, ayant eu ou élevé trois enfants ou plus est prévue par la quasi-totalité des principaux régimes de base et les régimes complémentaires. Elle s’applique à la fois aux pensions de droit propre et aux pensions de réversion, et n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu.

Dans les régimes du secteur privé, la majoration est de 10 % pour trois enfants ou plus. Dans les régimes spéciaux, y compris ceux de la fonction publique, ainsi qu’à l’IRCANTEC, la majoration est de 10 % au troisième enfant, et de 5 % par enfant supplémentaire avec un plafond, variable selon les régimes.

Des majorations pour enfant à charge sont également attribuées par l’ARRCO et, depuis 2012, par l’AGIRC, à hauteur de 5 % par enfant à charge sur la totalité des droits, non cumulables avec la majoration pour trois enfants.

Réinterroger le système de retraite sur son adéquation entre l’objectif affiché de réduire les inégalités et la réalité vécue par les femmes.

A l’heure où des évolutions majeures du système de retraite sont en discussions, des questions peuvent se poser quant à certaines modalités d’application des droits familiaux, notamment en ce qui concerne deux thématiques : celle de leur nature (forfaitaire ou proportionnelle) et celle du moment de prise en charge des périodes d’éducation des enfants (lorsque les enfants sont à charge ou bien pendant la retraite).

La première thématique a déjà été abordée dans le sixième rapport du COR à propos de la majoration de pension pour trois enfants et plus, dont la nature proportionnelle conduit à ce que la redistribution opérée profite davantage aux retraités dont les pensions sont les plus élevées qu’aux retraités les plus modestes, et par conséquent, du fait des différences de pension moyenne entre sexes, davantage aux hommes qu’aux femmes. Ce constat appelle réflexion quant à la finalité recherchée : approche assurantielle et redistribution horizontale ou optique de redistribution verticale ?

Si pour certains, dans une vision « nataliste » ou « canal historique », la majoration vise à compenser un éventuel défaut d’épargne ou un défaut de consommation du fait de l’éducation d’une famille nombreuse, une majoration proportionnelle se justifie.

En revanche, s’il s’agit de « rétribuer » les parents pour leur contribution au renouvellement des générations dans le cadre du système en répartition, une majoration forfaitaire peut apparaître préférable, eu égard à ses meilleures propriétés de redistribution verticale.

Les diverses finalités pourraient être partiellement conciliées dans le cadre d’un dispositif mixte, dans lequel la majoration serait proportionnelle. Mais il faudrait appliquer un plafond – pour éviter une trop forte redistribution vers les retraités ayant les pensions les plus élevées – et/ou un plancher – pour éviter que les retraités à faible pension se voient pénalisés par le caractère strictement proportionnel du calcul de la majoration.

La seconde thématique renvoie au lien entre retraite et politique familiale et au choix du moment où les périodes d’éducation des enfants font l’objet d’une prestation de Sécurité sociale.

Ainsi, pour certaines familles de cadres retraités, la prestation annuelle perçue au titre des majorations pour trois enfants et plus se trouve être plus élevée que le montant des allocations familiales reçues annuellement lorsque les enfants étaient à la charge de leurs parents, ce qui soulève la question d’un éventuel redéploiement de ces majorations au profit de politiques en faveur de la petite enfance (aides aux modes de garde notamment). Parallèlement aux questions sur le ciblage des droits familiaux, la question peut se poser de leur adéquation à certains objectifs du système de retraite.

Les axes de travail proposés par la CFDT Cadres

Ils ne constituent pas une liste exhaustive, mais ils peuvent être un moyen facilement atteignable d’améliorer l’équité du système de retraite.

Avoir une approche en termes de parcours professionnels.

Trop souvent on se retrouve en situation de réparer les situations antérieures (on compense) alors qu’il faut préparer l’avenir. Il faut donc ne pas baisser la garde sur la lutte contre les discriminations et travailler sur l’égalité professionnelle.

Réorienter la politique familiale pour favoriser le taux d’emploi.

L’idée est d’améliorer le taux d’emploi des femmes par une atténuation de l’impact de la naissance d’un enfant. C’est le débat actuel sur le Congé de Libre Choix d’Activité et sur la volonté de la CFDT de le réduire pour mieux le rémunérer pour limiter les impacts liés à l’arrêt de travail.

En parallèle, il faut continuer à développer les modes de gardes pour renforcer la possibilité de reprendre un emploi.

20 % des sommes affectées à la politique familiale sont consacrées à l’AVPF, Il faut redéployer les sommes affectées à l’AVPF pour garantir une meilleure effectivité des droits à la retraite par exemple.

Agir sur le système de retraite.

Il faudrait mieux articuler MDA et AVPF, de manière à ne permettre la validation de trimestres que dans la mesure des trimestres effectivement perdus du fait des interruptions d’activité. Pour mieux prendre en compte l’effet des enfants sur les salaires, la MDA pourrait par ailleurs être transformée en partie ou, de préférence, complétée par des dispositifs de majoration de pension – si l’on considère que l’effet est permanent – ou bien des dispositifs de majorations de salaires portés au compte et de points gratuits pendant les années d’éducation des enfants – si l’on considère que l’effet sur les salaires n’est que transitoire.

Sur les majorations pour trois enfants, il faut revisiter ces majoration soit en les limitant (cas des majorations Agirc Arrco) pour les redéployer (majoration de 5 % pour enfant à charge en Arrco) ou mieux en décidant d’une attribution forfaitaire par enfant si nous maintenons ce système.

Améliorer l’effectivité de la prise en charge de la parentalité par les deux parents. Par exemple en favorisant l’égalité dans le couple par le biais de l’augmentation du congé de paternité.

En guise de conclusion, il ne faut pas baisser la garde sur les inégalités.

Le propre d’un système de retraite est d’apporter une allocation après la cessation d’activité. Mais il faut remettre en cause nos schémas régulièrement et profiter des différents rendez-vous offerts par le législateur et les partenaires sociaux pour ouvrir le moteur et remettre en cause des systèmes qui ont eu pour certains leur utilité à une époque donnée pour une situation donnée. Willy Brandt disait « celui qui laisse perdurer une inégalité ouvre la porte à la suivante ». Cela nous engage à agir en amont sur l’égalité Hommes Femmes et en aval à réinterroger les finalités de nos systèmes de retraite.